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Ce tome fait suite à Le pont des larmes (épisodes 94 à 102) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 103 à 109, initialement parus en 2007/2008, écrits, dessinés, encrés et lettrés par Stan Sakai. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc. Ce tome bénéficie d'une introduction rédigée par Charles Solomon. Ce dernier passe en revue les principales caractéristiques des récits contenus dans ce tome et établit le constat de la longévité de la série : 26 ans.


Épisodes 103 & 104 - Le prêtre Jizonobu s'entraîne au maniement de la lance, dans le dojo d'un temple, avec Kin, un moine. Après une passe d'armes rapide attestant d'une grande habileté, il reprend son baluchon pour faire le tour des villages avoisinants et soigner les malades. Dans le premier, il constate que la jambe d'Ichiro retrouve de la vigueur et il en vérifie l'atèle. À la demande d'une grand-mère, il se rend au chevet de Jubei, atteint d'un mal mystérieux. Ne pouvant pas déterminer la nature de son mal, il décide de retourner chercher des potions et des onguents au temple. Sur le chemin, il se retrouve face à Ibaraki, un vagabond à l'hygiène douteuse, lui proposant son aide. Il la refuse. Pendant ce temps-là au temple, le seigneur Goyo est arrivé pour demander que l'on soigne sa fille Keifumi qui est atteinte du même mal que le jeune villageois Jubei.


Épisodes 105 à 109 - Bakuchi, responsable de la protection de plusieurs maisons de jeu, écoute son second lui expliquer que certains propriétaires refusent de payer, parce qu'il n'a pas réussi à faire exécuter la femme qui l'a ridiculisé. Dans un temple non loin de là, le prêtre Sanshobo pratique un exorcisme délicat sur un dénommé Jiro. Dans la région, Inazuma chemine toujours accompagnée par Keiko. Elles sont attaquées par un groupe de chasseurs de primes qu'Inazuma a tôt fait d'occire, mais en étant elle-même grièvement blessée. Murakami Gennosuke et Inukai (Stray Dog) sont également sur la piste d'Inazuma. Enfin Miyamoto Usagi est dans la région, et il croise un ténébreux rônin sur sa route.


Toujours aussi facétieux, Stan Sakai débute son récit par 3 épisodes dont Miyamoto Usagi est absent, sauf dans les toutes dernières pages du dernier. Pour ce tome, l'auteur a décidé de bâtir une histoire complète, concevant sa structure à l'échelle de ces 170 pages. En découvrant le titre de ce chapitre dans l'histoire d'Usagi, le lecteur sait qu'il s'agit de la nouvelle confrontation entre le personnage principal, et Jei, un esprit du mal capable d'habiter le corps d'un être humain et de le posséder. Il s'agit d'une intrigue secondaire qui refait surface de manière chronique au fil des tomes de la série. Ici, le titre indique qu'elle dispose d'un chapitre qui est centré dessus. Stan Sakai n'offre pas d'explication sur l'existence de Jei, ou sur ses motivations. Il s'agit d'un esprit qui tue ceux qu'il juge comme étant impur, sans critère explicité sur la pureté. Il en fait un tueur arbitraire, animé par une force surnaturelle, accompagnée par une jeune fille trouvant ses actions normales, et s'accommodant très bien des cadavres qu'il laisse derrière lui. Le lecteur se doute bien que les différents chasseurs aux trousses d'Inazuma vont mourir par poignée et qu'il est peu probable que l'esprit de Jei succombe au combat.


Le lecteur prend les deux premiers épisodes comme une sorte de conte, un peu pervers, dans lequel un individu fait de son mieux, mais n'a d'autre choix que d'accepter de renier toutes ses valeurs pour sauver des individus dont une décision léonine (celle du seigneur Goyo) lie la vie à celle de la malade Keifumi. Il s'agit donc d'un drame reposant sur l'injustice arbitraire de la vie. Comme à son habitude, le lecteur se rend compte dès les premières pages qu'il est transporté dans ce monde, et qu'il ne fait plus attention à la forme des personnages, des animaux anthropomorphiques, à la ressemblance assez vague avec leurs modèles du règne animal. Lors de l'affrontement initial entre Jizonobu et Kin, il observe les mouvements vifs des 2 combattants, ainsi que leurs frappes et leurs moulinets, pouvant enchaîner logiquement chaque geste. Il sourit devant l'accueil enjoué que les enfants du village font au prêtre. Il ressent une forme d'appréhension et de tristesse à voir le premier malade alité Jubei). Il se sent encore plus démuni en voyant Keifumi allongée, sans mouvement, terrassée par la fièvre. Stan Sakai se montre aussi convaincant pour les séquences à l'intérieur du temple, que pour celles dans la forêt, ou dans la grotte où se trouve Ibaraki. Le lecteur est tout entier immergé dans sa lecture aux côtés de ces personnages, au point d'oublier l'absence de Miyamoto Usagi de ces pages. Cette introduction dévoile donc un pan de l'histoire de Jei.


L'épisode suivant sert de prologue à l'histoire principale, et le lecteur reprend contact avec les différents personnages de la série, retrouvant même Ito l'aveugle, le faiseur d'orphelins rencontré dans le tome 21. Il découvre un nouveau rônin mystérieux Isamu. Stan Sakai entremêle avec naturel les différents fils narratifs, pour évoquer ce nouveau face-à-face avec Jei. Pour la quasi-totalité des personnages récurrents, il y a un enjeu personnel différent à chaque fois, ainsi que, pour tous, le risque de succomber aux assauts de Jei. Alors même que le lecteur sent bien qu'il se retrouve dans une intrigue à la mécanique sophistiquée pour aboutir au combat final contre Jei, il ressent de l'empathie pour chaque personnage. L'auteur réussit à raconter un récit de grande envergure, sans que ses personnages n'en pâtissent en devenant désincarnés. Le lecteur se demande quel sera le sort final d'Inazuma habitée par l'âme noire de Jei contre sa volonté. Il se demande si Gennosuke et Inukai survivront à une nouvelle confrontation avec Jei, car la précédente avait montré sa supériorité au combat. Il s'interroge sur la force des exorcismes de Sanshobo.


En bon conteur, Stan Sakai n'oublie pas que son histoire se déroule dans un environnement et un contexte qui ont une incidence sur le déroulement des événements et sur les personnages. Comme à son habitude, il utilise les coïncidences opportunes qui font que plusieurs personnages se retrouvent au même endroit, au même moment, une convention régulière dans le roman d'Eiji Yoshikawa. Il met en scène des groupes de chasseurs de primes, également motivés par la prime sur la tête d'Inazuma. Il conclut également son intrigue secondaire relative à Bakuchi, caïd local. Le récit passe d'un groupe de personnages à un autre, sans jamais donner l'impression de les réduire à des dispositifs narratifs sans âme. Cette construction en courtes scènes consacrées à des personnages différents confère un grand dynamisme à la narration, et le lecteur dévore le récit avec appétit. Sakai intègre quelques petites piques humoristiques comme ce collecteur de fertiliseur, ou le comportement des chasseurs de primes uniquement motivés par l'agent, ou encore celui de l'indicateur à la fois pleutre et cupide.


La narration visuelle conserve toute son efficacité, toute sa capacité à transporter le lecteur dans chaque endroit, à faire vivre les personnages, malgré l'apparence simple des dessins. Le lecteur observe les expressions sur les visages et prend conscience de la gamme infinie de ce qu'elles expriment : la colère de l'individu habitué à imposer sa volonté par l'intimidation et les assassinats (Bakuchi), l'empathie du prêtre Hama pour Jiro souffrant lors de l'exorcisme, le sourire de dément d'Inazuma, la tension entre Gennosuke et Inukai faite d'inquiétude et d'agacement, l'obsession qui guide Isamu, les expressions plus variées de Miyamoto Usagi indiquant un esprit plus ouvert, le visage plein de sollicitude de Keiko devant les souffrances d'Inazuma. Le langage corporel des uns et des autres s'avère tout aussi expressif. Les mises en scène permettent de suivre chaque action avec clarté, qu'il s'agisse d'une discussion entre amis, d'un affrontement armé, d'un face-à-face entre 2 factions se jaugeant. Comme dans les tomes précédents, il serait réducteur de dire que les scènes ne se déroulent que dans 3 types de lieux : en pleine forêt ou sur un chemin, dans une auberge ou une taverne, ou dans une maison abandonnée. Les dessins de Stan Sakai montrent des lieux spécifiques, avec des aménagements particuliers, des ustensiles montrant qu'ils sont habités par des individus qui y vivent vraiment.


Ce vingt-quatrième tome en 26 ans d'existence de la série ne donne jamais l'impression d'une redite. En respectant les conventions assez limitées du genre Chanbara, Stan Sakai fait évoluer des personnages qu'il sait faire exister, avec des personnalités différentes, des objectifs particuliers, et des visages expressifs permettant d'observer leur état d'esprit. Dans le registre limité des lieux habités de l'époque, il raconte une histoire originale, ne se réduisant pas à une simple variation d'un des précédents récits. Il utilise une construction romanesque sophistiquée, ménageant à la fois la place pour mener à bien son intrigue en maintenant le suspense, et à la fois la personnalité des protagonistes, sans les réduire à de simples pions à déplacer pour arriver à la fin prédéterminée de l'histoire. Il utilise avec habileté les conventions du genre et il met à profit la mythologie interne de la série, développée pendant la durée de son existence.

Presence
10
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le 11 juil. 2019

Critique lue 51 fois

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