Ce tome fait suite à Usagi Yojimbo 5 (épisodes 19 à 24). Il comprend les épisodes 25 à 31 et Critters 38, initialement parus en 1990/1991, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Il s'agit d'une série en noir & blanc. Il commence par une introduction écrite par Jeff Smith, l'auteur de Bone, Tome 1 : La Forêt sans retour. Cette introduction est aussi brève que laconique et dépourvue de tout intérêt. Il comprend 5 histoires complètes.
(1) The bridge - Miyamoto Musashi arrive devant un pont de bois à la nuit tombante. Il le traverse, mais ressent comme une présence dans son dos. Il dégaine son sabre et effectue un vif mouvement, ne rencontrant que le vide. Il achève sa traversée et arrive à une auberge. Le tenancier remarque qu'il a une grande lacération dans le dos. Il lui indique que le pont est hanté par un démon (2) The Duel - Dans un autre village, Miyamoto Musashi est en train de livrer un duel au sabre contre le champion local, alors qu'un individu a organisé les paris. Après le duel, il est abordé par Shubo, un autre rônin. (3) Yurei - Miyamoto s'est endormi au pied d'un arbre et le fantôme (Yurei) d'une jeune femme lui apparaît, lui laissant une épingle à cheveux. Usagi espère pouvoir l'échanger contre un repas à l'auberge suivant. L'hôte a une réaction disproportionnée en voyant cet accessoire.
(4) My lord's daughter - Miyamoto Usagi porte une lourde armure de combat finement ouvragé et se taille un chemin, d'abord au milieu d'une horde de soldats, puis en se battant contre une créature marine, puis contre une sorte de fantôme, pour aller délivrer la fille de son seigneur. (5) Circles - Miyamoto Usagi parvient au but qu'il s'était fixé : retourner dans son village natal. En chemin, il fait la connaissance de Shunji, le nouveau disciple de Katsuichi, et il apprend que ce dernier est toujours vivant. En arrivant enfin au village, il est pris à parti par Kenichi, le mari de Mariko. Celui-ci lui apprend que leur fils Jotaro a été enlevé par une bande de brigands, avec à sa tête un vieil homme décharné qu'Usagi reconnaît pour être Jei.
Arrivé à ce tome 6, le lecteur a pris goût à la narration de Stan Sakai et il anticipe déjà ce qu'il va trouver : Usagi aidant la veuve et l'orphelin, préférant trouver des solutions pacifistes, mais systématiquement obligé de dégainer son katana. Il sait qu'il y aura des affrontements au sabre. Il se doute que ce tome sera l'occasion comme les précédents de retrouver plusieurs personnages déjà apparus précédemment, le tout dans un Japon féodal, Usagi se rendant de village en village. Par contre, il n'a pas idée des intrigues qu'il va découvrir. Stan Sakai commence par un récit mélangeant des éléments de conte et d'horreur. Miyamoto Usagi affronte un démon. L'auteur s'amuse avec une main coupée, des villageois apeurés, un pont qu'il ne faut pas traverser la nuit. Comme à son habitude, il sait insuffler un minimum de personnalité dans chaque protagoniste, et il fait en sorte qu'Usagi trouve une forme d'intérêt à affronter la menace, qu'il ne s'agisse pas uniquement d'un altruisme de circonstance. C'est l'occasion pour lui de dessiner un village, lieu dont il sait toujours aussi bien rendre l'impression avec une auberge accueillante dont les clients se connaissent de longue date. Pour cet épisode, le lecteur apprécie de pouvoir regarder le pont franchissant une gorge, ainsi que l'allure inquiétante du démon, alors même que Stan Sakai continue de dessiner avec son approche tout public.
Le deuxième épisode reprend une situation récurrente dans la série : Miyamoto Usagi doit faire preuve de sa compétence au sabre, dans un combat arrangé qu'il n'a pas souhaité. L'issue du duel ne fait aucun doute, et Stan Sakai reprend les conventions classiques du manga de sabre, avec les 2 adversaires s'observant immobiles pendant un temps, avant de fondre l'un sur l'autre pour une unique passe d'armes décisive. La mise en scène de ce moment rend bien compte de la tension des 2 bretteurs, et de leur concentration intense. Comme à son habitude, l'auteur sait raconter une histoire substantielle en seulement 20 pages. Il y a une forme de commentaire social sur la condition de samouraï en temps de paix, des individus obligés de trouver comment gagner leur vie, alors qu'ils ne savent que manier l'épée. Il met également en scène un organisateur de paris dont le métier est de gagner de l'argent et qui maximise ses gains grâce à des informations qui lui donnent un avantage sur les gogos. Cette histoire constitue également un drame de plusieurs façons. Il y a donc Miyamoto Usagi qui se retrouve dans la situation de devoir se battre sans motif valable, en sachant qu'il occasionnera une mort inutile. Il y a également la situation personnelle de Shubo, sa femme et son enfant qui rend cet affrontement tragique, dans la mesure où Shubo y est contraint par sa condition sociale et sa culture.
L'aventure suivante est assez courte (8 pages). Stan Sakai parvient à donner de la consistance à cette nouvelle aventure, avec Usagi piquant un petit roupillon adossé à un tronc d'arbre, arrivant tout confiant dans l'auberge, puis défendant chèrement sa vie. À nouveau, les dessins montrent une situation particulière, avec des endroits différenciés des précédentes auberges. Le scénariste montre comment un individu peut se tromper en interprétant de travers la présence d'un objet, à cause d'une culpabilité qui le travaille. L'épisode suivant fait également office d'interlude, avec Usagi protégé dans une solide armure et taillant sa route au travers d'ennemis successifs. Il y a une explication très simple à ce schéma narratif, et tout à fait justifiée. Stan Sakai peut se lâcher pour des combats plus exagérés que d'habitude, moins réalistes dans leur ampleur, avec quelques monstres impressionnants, et une violence toujours édulcorée, sans représentation de plaies, ou de sang.
Le lecteur arrive alors à la dernière histoire qui occupe la moitié de ce tome. Elle comprend une dimension plus personnelle pour Miyamoto Usagi puisqu'il atteint son village natal, dans lequel il va retrouver plusieurs de ses amis. En fait cela ramène le lecteur à la neuvième histoire du premier tome quand il était passé rapidement dans son village. Il reconnait donc facilement Mariko (son premier amour), son mari Kenichi et leur fils Jotaro. Le scénariste ne se contente pas de lâcher une troupe de brigands sur ce village, pour atteindre son quota d'action. Il mène à son terme (ou du moins à la fin d'une phase) la haine portée par Jei à l'encontre d'Usagi. Le lecteur constate tout de suite que les personnages se comportent en adultes, sans mièvrerie ou exagération romantique. Usagi a très bien conscience de ses sentiments pour Mariko, mais aussi du fait qu'elle a fondé une famille. Kenichi ressent une forte irritation au retour d'Usagi qui jouit d'une excellente réputation, alors que lui a dû assumer les responsabilités de chef du village ce qui ne le rend pas populaire auprès de tout le monde. Néanmoins il est bien conscient de l'avantage significatif que constituent les compétences d'Usagi pour retrouver son fils et défaire les brigands. Enfin Mariko ne tient pas le rôle de la gentille épouse, effacée derrière son mari. Elle a une conscience tout aussi claire de ses sentiments, mais tout autant de son devoir envers son fils et sa famille. En outre, elle dispose d'assez de recul pour évaluer le comportement d'Usagi qui l'avait quittée pour aller apprendre l'art du sabre.
Le lecteur prend un grand plaisir à côtoyer ces personnages complexes, oubliant complètement qu'il regarde des animaux anthropomorphes représentés avec un grand degré de simplification pour être lisible par des enfants. Il regarde le poids du devoir, des convenances culturelles contraindre les personnages, tout en appréciant le suspense de l'enlèvement de Jotaro, lui aussi doué d'initiative. Les dessins de Stan Sakai racontent l'histoire, en phase avec le scénariste (normal, c'est le même créateur), portant une grande part de la narration. Derrière la simplicité apparente des représentations, le lecteur se rend compte qu'il se projette entièrement dans chaque lieu, de la pièce commune du foyer de la famille de Mariko, à un à-pic surplombant une rivière, en passant par la clairière où se situe le repère des brigands, et l'intérieur de cette bâtisse. Le dessinateur l'épate en se montrant aussi à l'aise pour les scènes intimistes (Mariko et Usagi prenant le thé en s'observant et en choisissant leurs mots, les non-dits pesant lourd), que pour les scènes d'affrontement physique avec l'ensemble des brigands contre les villageois. Il s'avère tout aussi épatant pour représenter les personnages : la vitalité de Jotaro, les postures plus posées de Katsuichi en cohérence avec son âge, la retenue de Mariko, les expressions de violence d'Usagi prêt à tout pour sauver Jotaro. À nouveau, Stan Sakai prend le lecteur par surprise en sachant rendre Jei menaçant, alors même qu'il est représenté comme un vieillard décharné à la tête évoquant vaguement celle d'un renard, enrobé dans une longue robe noire informe, les cheveux en bataille. Pourtant il projette une aura de méchanceté qui flanque le frisson.
Ce sixième tome de la série s'avère aussi riche, divertissant, intelligent et sensible que le précédent, tout en conservant une forme permettant une accessibilité immédiate pour tous les publics. Alors même que Stan Sakai place son personnage dans des situations qui peuvent en rappeler d'autres dans les tomes précédents, elles ne sont jamais identiques, grâce à des personnages secondaires avec de
s motivations différentes.