Londres, fin des années 90. La Troisième guerre Mondiale a ravagé l’humanité, l’Europe a disparue, tout comme l’Afrique. L’Angleterre, un des pays rescapés, survit tant bien que mal sous un régime totalitaire et génocidaire, dont le fonctionnement implacable ne laisse aucune liberté. Et le peuple, accablé par la guerre et soulagé qu’elle soit terminée, prend ce système comme une nécessité, la seule solution viable à sa survie.
Mais il y a un homme. V. Sorte de synthèse entre le Joker et Batman, il commence tout d’abord par éliminer ceux qui l’ont torturé à lui en faire perdre l’esprit. Ceux qui, sans le vouloir, l’ont libéré de la pensée commune. Mais il ne va pas s’arrêter là. Anarchiste, il considère la vie comme une pièce de théâtre ou une partition de musique. Tout est déjà écrit, il ne reste plus qu’à jouer convenablement son rôle. Il place l’art au-dessus de tout, et enrage de sa disparition depuis la guerre. Il rappelle solennellement au lecteur : « L’anarchie, ce n’est pas le chaos. C’est l’ordre naturel, celui qui n’est dicté ni par un gouvernement, ni par un dirigeant, mais pas chacun d’entre nous. Le chaos, ce n’est que l’étape intermédiaire pour atteindre l’anarchie ». Idéaliste, il ne va reculer devant rien pour réveiller la conscience collective, et l’amener au soulèvement. L’impact s’en fait d’ailleurs ressentir sur ses ennemis épargnés, qui sombrent pour la plupart tous progressivement dans la folie, comme s’ils ne voulaient pas prendre conscience de l’abomination de leurs actes.
Regroupant tous les thèmes d’un récit dystopique, « V pour Vendetta » en est son porte-étendard dans le domaine de la bande dessinée. Il n’aurait d’ailleurs pas autant d’impact sans la mise en scène magistrale d’Alan Moore, qui déploie devant son lecteur un découpage riche, symbolique et particulièrement cinématographique. Ce n’est pas étonnant que ses œuvres soient autant adaptés au cinéma. Le scénariste n’a aussi aucun égal pour dénicher les dessinateurs talentueux, et parfaitement adaptés à son récit. David Lloyd nous régale donc de magnifiques planches aux ombres très marqués, aux contours subtils, et aux décors sublimes. Le tout gagnerait toutefois à être recolorisé ou présenté en noir et blanc, si cela n’a pas déjà été fait dans une édition plus récente que la mienne. Si la narration est exemplaire, elle s’avère de plus en plus exigeante : pour représenter le chaos, Alan Moore éclate sa narration et multiplie les personnages, au risque de perdre le lecteur.
Avec « V pour Vendetta », Alan Moore signe certainement son œuvre la plus ambitieuse, porteuse d’une idéologie profonde et complexe, fascinante et utopique. En s’affranchissant entièrement du récit de super-héros, il donne une maturité supplémentaire à son récit, qui demeure parfois un peu trop dans l’implicite pour être apprécié à sa juste valeur. Son impact reste en tout cas sans précédent, et son influence se fait largement ressentir, à commencer avec des films comme « Matrix ».