Ce tome est le dix-septième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, elle paraît en prépublication dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Ce tome comprend les chapitres 151 à 157. Comme le précédent, il se termine avec une liste exhaustive des noms des personnages apparus dans les précédents, chacun accompagné d'une ou deux phrases synthétiques les présentant.
Kojiro Sasaki se trouve sur la plage, le soir, sous le regard d'Ittosai (auparavant Yagoro) Ito, avec en face de lui 3 bretteurs prêts à en découdre avec lui. Il a le sourire aux lèvres et il s'avance vers Denshichiro Yoshioka (son prochain adversaire) et lui dérobe un des sabres qu'il porte à sa ceinture.
Alors que le combat va débuter, Ittosai Ito bondit sur la plage et blesse Kojiro à la cuisse droite, à la stupeur de tous. Cette blessure n'entame en rien la détermination de Kojiro qui se prépare à l'affrontement. Denshichiro est stupéfait par son comportement et s'interroge sur sa propre valeur, sa propre détermination. Le combat commence, sous le regard des 2 autres bretteurs et d'Ittosai Ito.
Dans ce quatrième tome consacré à Kojiro Sasaki, Takehiko Inoué consacre 4 chapitres à l'affrontement entre lui et Denshichiro, élève d'une école de sabre, totalement défaite par Miyamoto Musashi (dans le tome 3 où Musashi avait affronté Denshichiro). Comme à son habitude, il réussit à rendre ce long combat unique, très dynamique, sans beaucoup de paroles, et avec plusieurs surprises. L'auteur a décidé d'adapter un roman dont le principal protagoniste s'est fixé comme objectif de s'améliorer sans cesse, de devenir le meilleur dans sa partie, à savoir le maniement du sabre. Takehiko Inoué doit lui aussi se montrer à la hauteur en tant qu'artiste et s'améliorer sans cesse dans sa représentation des affrontements au sabre, pour se montrer digne de son personnage et à la hauteur des attentes de son lectorat. Quel défi !
De la même manière que Kojiro Sasaki se retrouve avec un handicap de taille (sa blessure à la jambe), Takehiko Inoué aussi, puisque l'un des 2 personnages est sourd et qu'il ne donne pas accès à ses pensées pour le lecteur. Du coup tout repose sur la représentation de l'affrontement et sur quelques observations de Denshichiro Yoshioka. En outre, la motivation de ce dernier est rapidement exposée, et n'offre pas beaucoup d'éclairage nouveau sur cet affrontement. Donc le narrateur se retrouve à faire passer 90% du sens de ce combat au travers des attitudes des 2 bretteurs, par les images. Première surprise de taille : le lecteur doit accepter qu'Ittosai Ito blesse son protégé sans explication. Ça a un peu de mal à passer, mais le narrateur dispose d'un grand capital confiance, alors le petit plus de suspension consentie d'incrédulité est accordé sans trop s'en offusquer.
Arrivé au tome 17, le lecteur sait maintenant que ce combat sera entrecoupé de retours en arrière pour étoffer les motivations des personnages, et de nombreuses périodes d'observation où les combattants se tiennent immobiles. En fait Takehiko Inoué accélère sa narration : il n'y a qu'un seul retour en arrière et les scènes d'observation ne durent pas plus de 4 pages d'affilée. Les combattants se portent des coups très régulièrement et assez rapidement en temps réel.
En tant qu'artiste, Takehiko Inoué se montre très exigeant avec lui-même : seules de très rares cases sont composées d'un gros plan sur un visage. Pour le reste, il met en scène cet affrontement en prenant grand soin de respecter la logique des déplacements, pour que le lecteur puisse retracer les mouvements d'une case à l'autre, en fonction de la position respective des 2 combattants. Il utilise avec parcimonie les lignes de mouvement et les lignes de force, préférant s'appuyer sur la posture de l'épéiste pour suggérer le geste qu'il accomplit. Il représente des traînées de sang, à chaque fois qu'une lame coupe la chair, mais sans en rajouter, de manière à rester dans le plausible. À la rigueur le lecteur peut quand même s'étonner de l'incroyable résistance à la douleur de Kojiro qui ne défaille pas et continue à combattre, alors qu'il vient d'avoir la cuisse droite transpercée par une lame.
Takehiko Inoué représente avec minutie les décors, à savoir le sable de la plage, les aspérités des rochers, et le mouvement des vagues. Cela peut sembler assez minimaliste comme décor à représenter. Mais en fait, il dessine chaque dépression dans le sable, et ajoute une trame pour figurer la granulosité du sable. Il fait de même pour la texture des rochers, et représente les arbres en arrière-plan. Il fait aussi de même pour la texture de l'eau de mer, en prenant grand soin de transcrire le mouvement des vagues.
À force de voir la mer sauter, le lecteur comprend que ces vagues se fracassant constituent une métaphore des mouvements des bretteurs. L'élément liquide représente la volonté et la détermination de l'un et l'autre, s'affrontant se heurtant de plein fouet. Le lecteur retrouve là un thème sous-jacent présent depuis le début du manga, le rapport de l'homme à la nature, le fait qu'il en est un élément au même titre que les animaux, et qu'il lui emprunte jusqu'à ses mouvements. Ce point de vue est validé par une remarque d'Ittosai Ito qui se rend compte que Kojiro Sasaki chantonne, en imitant le bruit du flux et du reflux.
L'homme en tant que partie intégrante de la nature était un thème également développé dans le tome précédent, avec une autre métaphore. Toujours par le biais des images, Takehiko Inoué montrait au lecteur que Kojiro Sasaki comparait ses adversaires (à commencer par son père) à des arbres au tronc plus ou moins épais (la résistance) et au feuillage plus ou moins développé (la capacité de percevoir les mouvements autour de soi). Ici cette métaphore revient le temps d'une case dans le chapitre 154, pour qualifier Denshichiro Yoshioka.
Les 4 premiers chapitres mettent en scène ce combat entre 2 personnages récurrents de la série, tout en exposant de manière visuelle l'enjeu qu'il représente pour chacun des combattants, des enjeux différents pour l'un et l'autre. À l'opposé d'une prouesse narrative visuelle tout en virtuosité qui en met plein la vue, il s'agit d'un exposé d'une rare sophistication sur ce qui se joue réellement pour chacun, avec une virtuosité narrative incroyable pour montrer plutôt que tout exposer par le biais de dialogues ou du commentaire artificielle d'un narrateur omniscient.
Les 3 derniers chapitres sont consacrés aux conséquences du combat. Sans surprise, Kojiro Sasaki décide de quitter Jisai Kanemaki qui doit faire son deuil de ce départ. Takehiko Inoué raconte ce point de passage obligé en montrant ce père adoptif faire le bilan du chemin parcouru et en acceptant l'inéluctable : tout fils doit prendre son indépendance vis-à-vis de son père. Le rappel de la dynamique de leur relation n'apporte pas grand-chose, par contre la résignation du père apparaît comme une acceptation d'une étape naturelle (l'enfant a grandi et est devenu adulte) plus que comme une défaite.
Le dernier chapitre est consacré au début de route de Kojiro Sasaki sous la tutelle d'Ittosai Ito. Takehiko Inoué maintient tout l'ambiguïté de ce bretteur, soufflant le chaud et le froid, avec une malice souvent cruelle. Ittosai Ito n'a aucune illusion sur la finalité du maniement de sabre : il s'agit de tuer, d'occire l'ennemi. Il dispense donc un enseignement par la pratique, avec la finalité de survivre au prochain combat, de tuer ses adversaires. Il provoque des situations dans lesquelles Kojiro Sasaki se retrouve à combattre des bretteurs qu'Ittosai Ito a provoqués.
Le lecteur est un peu pris de court par cette façon de faire, comparée à celle de Jisai Kanemaki. En effet ce dernier donnait des cours de maniement de sabre, il dispensait un enseignement formalisé (ce dont le lecteur n'avait pas vu Takezo Shinmen bénéficier). Ici Kojiro Sasaki passe de l'observation des cours de son père adoptif (mais sans la pratique), à l'apprentissage par l'expérience. En procédant ainsi, l'auteur suscite un petit pincement au cœur du lecteur qui voit que ce nouveau tuteur pousse son apprenti dans la voie que son père adoptif voulait lui faire éviter. Il favorise sa propension à la violence, plutôt que de lui apprendre à la maîtriser.
Le lecteur constate avec regret que pour ce tome, les éditions Tonkam ont renoncé à reprographier des pages en couleurs, celles au début des chapitres 154 et 157, les reproduisant en noir & blanc.
Avec ce tome, Takehiko Inoué prouve une nouvelle fois qu'il fait corps avec son sujet qui est celui de l'amélioration personnelle, jusqu'à l'excellence. Alors qu'il consacre de nouveau les 2 tiers d'un tome à un affrontement au sabre, celui-ci ne ressemble en rien au précédent, repose sur des enjeux spécifiques et met face à face des combattants à un moment précis de leur vie. Décidément le lecteur ne regrette pas l'absence du personnage principal, et il voit sous ses yeux l'auteur développer les thèmes principaux avec une habileté hors du commun.