Ce tome est le dix-neuvième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon,sa prépublication s'effectue dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Ce tome comprend les chapitres 165 à 171. Il ne comprend pas de liste exhaustive des noms des personnages apparus dans les précédents, chacun accompagné d'une ou deux phrases synthétiques les présentant.
Après être passés par le champ de bataille de Sékigahara, Kojiro se retrouve séparé d'Itosai Itto et de Gon'nosuke Muso. Ces 2 derniers cheminent jusqu'à atteindre une modeste demeure abandonnée. De son côté, Kojiro Sasaki se heurte à une bande de paysans bien décidé à tuer tous les fuyards pour toucher la prime promise.
Dans la même forêt, un groupe de fuyards progresse lentement, essayant de rejoindre Osaka. Il est composé de 6 personnes : Shinjiro (blessé à la jambe), Ko'un (un grand gaillard), Toshimune (blessé d'une flèche dans le bras), Sadakore (petit en taille et l'aîné du groupe), Ugen, et Ichizo (le petit frère de Shinjiro). Ils affrontent un groupe de soldats, puis un groupe de villageois. Ils arrivent dans une clairière jonchée de cadavres, avec Kojiro Sasaki assis non loin de là.
Avec ce tome, Takehiko Inoué poursuit la description de l'apprentissage de Kojiro Sasaki. Dans le tome précédent, Itosai Itto avait effectué le constat amer que le savoir qu'il transmet à Kojiro se limite à ses propres capacités, sans réussir à lire ou entrevoir le potentiel de Kojiro. Il décide de lui infliger une épreuve déterminante en l'abonnant sciemment dans une région infestée d'individus prêts à en découdre pour des raisons diverses. Kojiro Sasaki (17 ans) est seul, sans nourriture, avec une minuscule réserve d'eau.
Une fois ce tome refermé, le lecteur fait le constat d'une narration très tendue, entièrement centrée sur une succession d'affrontements sanglants (une boucherie à chaque fois) dans un environnement cafardeux (une région isolée, une forêt peu hospitalière, une faible luminosité, voire la nuit). Kojiro Sasaki est de plus en plus exténué, affamé et assoiffé au point que le lecteur se demande comment il tient encore debout. Il est encore plus coupé du monde que d'habitude, car seul et ne rencontrant que des personnes hostiles. L'ambiance se fait lourde, cafardeuse et macabre. Les survivants prennent des mèches de cheveux sur les cadavres de leurs compagnons morts au combat, pour se souvenir d'eux.
Comme dans le tome précédent, le lecteur est amené à contempler, encore et encore, les résultats du maniement du sabre. Il ne s'agit plus de nobles passes d'arme dans un but pédagogique, mais de combat à mort, occasionnant des blessures sanguinolentes, et des morts idiotes dans le cadre de combats entre personnes qui ne se connaissent pas, aux objectifs de plus en plus fumeux. À la fin du chapitre 167, l'auteur a réalisé une esquisse de ses 2 principaux pinceaux, dont un plus épais pour rendre compte de l'âpreté des décors, et des coups portés.
Les coups de pinceau se font plus épais et plus tranchants. À chaque fois qu'un sabre déchire la chair, le sang coule à flot, avec un giclement pour rendre compte de la pression artérielle. Takehiko Inoué représente ces épanchements par des formes bien noires, figurant la viscosité du liquide, et des formes déchiquetées rendant compte du jaillissement du sang. Il continue à prendre en compte le relief du terrain, et la cohérence spatiale dans l'enchaînement des coups portés. Mais les combats (à l'exception du dernier) se font plus hachés, avec un découpage plus syncopé, montrant à la fois le tumulte lié au nombre de combattants portant des coups en même temps, mais aussi des attaques et parades relevant plus du réflexe que d'un art réfléchi.
Takehiko Inoué ne s'attarde pas sur les plaies. Il représente la blessure dans le mouvement du coup porté. Il n'y a pas de détails complaisants de type gore. Ce choix de représentation ne diminue en rien l'horreur des coups portés et des blessures. L'artiste est devenu efficient dans l'art de montrer la force des coups portés, et l'impact des armes. Le lecteur ne peut pas rester insensible en voyant le fil d'un sabre s'enfoncer dans la chair, une gorge transpercée par un bambou effilé, ou en voyant un sabre s'enfoncer dans le globe oculaire d'un paysan.
Les affrontements entre rônins et samouraïs, contre des paysans montrent une autre facette de l'art du sabre, et du combat. Il n'y a pas besoin d'être un maître armé d'une lame de qualité pour tuer. Animés par l'appât du gain (une promesse de récompense), un paysan avec un objet tranchant sans valeur cause une mort tout aussi définitive. Dans le tome précédent, l'art du sabre apparaissait dépassé par de nouvelles règles d'affrontement (à commencer par l'utilisation d'arme à feu). Dans celui-ci, l'importance des compétences de sabreur et du niveau de maîtrise des techniques apparaît superflue alors que le premier venu peut tuer un samouraï aguerri avec un morceau de bambou taillé en biseau. Le résultat de l'action du novice rend caduque les compétences de l'artiste.
Vu sous cet angle, le combat final entre Kojiro Sasaki et Sadakore (un maître d'escrime) prend un autre sens. Il devient une nouvelle preuve du fait que cet apprentissage de l'escrime pour devenir le meilleur n'a de sens ou d'intérêt qu'entre deux pratiquants de cet art. Les compétences de Kojiro Sasaki n'offrent d'intérêt que face à un autre bretteur expert, et ne peuvent être reconnues que par ce type d'individus, dans un affrontement artificiel, détaché d'un champ de bataille ou d'une situation d'affrontement dans une configuration survenant naturellement.
Le lecteur se remémore alors que cette recherche de l'excellence au sabre peut aussi se lire comme une recherche de progression dans tout autre type d'activité, que ce soit dans sa vie personnelle, ou dans les compétences de narrateur de l'auteur lui-même. Il semble dire toute la futilité qu'il y a à exceller dans un domaine (à commencer par celui de mangaka), alors que la majorité des individus (à commencer par les lecteurs) ne recherchent qu'un moment de divertissement rapide, sans considération ou intérêt pour le degré de maîtrise technique de l'auteur, un constat perspicace, cynique et démotivant.
L'artiste présente l'environnement dans lequel se déroulent les affrontements, en fonction de la thématique qu'il développe. Ici la forêt devient un arrière-plan impénétrable, comme une sorte de barrière enfermant les personnages dans un lieu sans identité, interminable, dont il est impossible de sortir, de s'extirper, rendu encore plus indistinct par des nappes de brumes. Dans les 3 derniers chapitres, Kojiro Sasaki fait face à Sadakore sur une élévation, au sol aride et caillouteux, sans plus d'arbres pour masquer horizon, mais avec un ciel sombre et dégagé. Au lieu d'apporter de l'air à la séquence, Takehiko Inoué dessine ce ciel vide comme une absence de vie, comme un présage annonciateur de mort. Il s'attache beaucoup à représenter la dureté de la pierre et ses arrêtes tranchantes, pour un environnement très inhospitalier.
Les personnages ne sont jamais coupés de leur environnement ou du milieu naturel. À plusieurs reprises, la prise de vue s'attarde sur les corbeaux, comme oiseau de malheur, comme charognards venant picorer les cadavres. Ils deviennent le symbole de l'irréversibilité de la mort, de la dégradation des corps, du recyclage de leur matière pour nourrir ces oiseaux. Le lecteur constate également que l'auteur représente plusieurs personnages en train de boire. Ce périple nocturne au travers de la forêt montre des individus n'ayant plus de quoi se nourrir et rationnant leur eau (transportée dans des gourdes de fortune, réalisées dans un morceau de bambou). Le lecteur rapproche cette représentation de la soif, de la vue de l'océan représenté en un dessin unique occupant une double page en milieu du chapitre 169.
D'un côté, tous les combattants sont rationnés en eau, de l'autre Kojiro Sasaki (pourtant logé à la même enseigne) se souvient de l'océan. Le lecteur se rappelle que dans un tome précédent, un personnage comparait le mouvement des vagues à la force vitale de Kojiro Sasaki. Cette analogie avec l'eau devient une indication des ressources physiques inépuisables de cet homme, par opposition à la faible quantité d'eau ingurgitée par les autres. Dans la dernière séquence, Kojiro Sasaki fait face à Sadakore qui se met à parler tout seul à haute voix, avant de l'attaquer avec une chaîne lestée (Manriki Susari). L'auteur utilise la licence narrative qui lui permet de faire s'exprimer à haute voix un personnage pour qu'il livre ses pensées et ses émotions. Cet artifice théâtral ne demande pas trop d'augmentation de la suspension consentie d'incrédulité, dans la mesure où Sadakore compense pour le mutisme de son adversaire. Il renforce l'impression littéraire, tout en conservant un niveau de plausibilité acceptable.
L'apprentissage de Kojira Sasaki se poursuit dans des conditions de plus en plus drastiques et mortifères. Takehiko Inoué poursuit son exploration de la recherche de l'excellence, jusque dans sa dimension futile, dépouillant son récit du superflu (un environnement de plus en plus dénudé), sans pour autant sacrifier l'importance de la relation entre l'homme et son milieu.