Roman noir emplâtré de masques
Christian de Metter se signale à nouveau par une formule de récit à laquelle il semble s'attacher : le récit noir, aux dialogues très réalistes entre marginaux et déclassés, à l'intrigue simple sinon sans surprise. Ajoutons la persistance des références culturelles (Ici, la récurrence d'allusions au roman d'Hubert Selby Jr, "Le Démon", dont le héros a quelques points communs avec Jack : planches 20 et 21).
On veut bien admettre que la "modernité" (celle d'un Selby, devant laquelle bave servilement la critique) peut consister aussi (comme ici) en prises de tête pour parler des pulsions de mort et des actes meurtriers effacés par une opportune amnésie (sans laquelle ce récit n'existerait même pas). Il n'empêche que le parcours de Jack, le personnage central qui cherche à se venger d'un Indien qui aurait tué son fils Niels, apparaît peu crédible. Les raisons qui poussent Jack à poursuivre l'Indien sont pour le moins... fragiles, et le retournement final de l'intrigue, pour déroutant qu'il soit, ne suscite pas l'adhésion du lecteur tellement il est improbable. Le cheminement psychologique de Jack empeste le fabriqué, l'élucubration littéraire, la cuisine scénaristique cherchant à conférer quelque originalité à une tradition (celle du roman noir) menacée de tourner en rond.
L'intérêt de Christian de Metter est donc surtout sa tentative graphique : couleurs directes où se superposent plaques de couleurs souvent irréalistes et crayonnés de texture. Voir le côté criard du jaune d'oeuf-ketchup des planches 20 à 22. Le dosage des unes et des autres donne des résultats contrastés : tantôt l'absence de contours et de textures noie les éléments dessinés dans une purée indistincte (voir les feuillages et le gazon, planche 1, la route et ses bas-côtés, planche 29), tantôt la superposition équilibrée des deux donne de beaux effets de réel (au niveau des contrastes de luminosité); mais le trembloté du trait, trop souvent inutilement employé (planches 1, 4 : de vrais asticots semblent se tortiller sur la joue de Jack) et les couleurs irréelles (planche 1, le visage de Jack est un vrai sac de farine rosi par endroits), s'ils montrent le souci de recherche graphique de l'auteur, nous renvoient plutôt à l'illustration pleine page de romans populaires qu'à la bande dessinée. A l'opposé, les rayonnages de livres (planche 28) sont purement et approximativement crayonnés, les excluant du contexte réaliste d'ensemble. Ajoutons que, sur ce terrain graphique, des passages aquarellés formant auréoles (planches 10, 37, 41) contrastent avec la lourdeur pâteuse des couleurs apposées sur les visages. On n'est pas loin de l'expressionnisme brun-sombre des couvertures atroces du "Livre de Poche" des dix années qui ont suivi sa création (planche 13; la planche 46 est gratinée à cet égard). On appréciera le flou taché du paysage urbain planche 17, aux lignes aussi peu rigoureuses que possible, aux couleurs assez décourageantes, sauvées par les effets de contrastes lumineux, comme à la planche 26. L'ombre d'un Edward Hopper rôde sur certains angles de vue (planche 32).
Le réalisme du récit sauve un peu toutes ces tentatives aventureuses. Dialogues laconiques et allusifs qui dévoilent lentement l'intrigue, par petites touches, authenticité des dérobades devant la proximité de situations qui pourraient devenir sexuelles (planches 24 à 26, 29 à 32, 39-40).
On aimait bien mieux "Scarface", du même auteur.