À quoi bon ?
Ce tome fait suite à Ceux qui restent (épisodes 49 à 54) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 53 à 60, initialement parus en 2008/2009, écrits par Robert Kirkman, dessiné et encré par...
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le 20 juil. 2019
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Ce tome fait suite à Ceux qui restent (épisodes 49 à 54) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 53 à 60, initialement parus en 2008/2009, écrits par Robert Kirkman, dessiné et encré par Charlie Adlard, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rathburn. Il est indispensable d'avoir commencé la série par le premier tome pour comprendre les liens qui unissent les personnages, ainsi que leur histoire personnelle.
Rick Grimes est en train de surveiller son fils qui sort du pavillon de banlieue pour aller jouer sur la pelouse, manquant de se faire renverser par une voiture sur la chaussée. Rick se rend compte à quel point la vie tient à peu de choses, et la mort aussi. La nuit, Rick se réveille en sursaut d'un terrible cauchemar. Il sort de la tente qu'il partage avec son fils Carl, pour aller remplacer Abraham Ford qui effectuait son tour de garde. Glenn se lève aussi pour prendre son tour, mais Rick lui propose de l'assurer à sa place. Il va se recoucher dans la tente qu'il partage avec sa femme. La nuit finit par s'achever, la petite troupe se prépare, et Abraham donne le signal du départ.
Le petit convoi traverse une ville dans laquelle ils en profitent pour faire le tour des magasins de nourriture, sans trouver grand-chose, d'autres étant passés avant eux. Rosita Espinosa manque de se faire mordre par un zombie. Eugene Porter intervient juste à temps pour la libérer de l'emprise du zombie, sans faire de bruit pour ne pas risquer que d'autres ne se rapprochent attirés par le bruit. La nuit suivante, l'un des voyageurs se suicide en se pendant à un arbre. Un autre intervient à temps pour le dépendre, mais il faut abattre le défunt pour éviter qu'il ne se transforme en zombie dans un futur proche. Tout le monde ne partage pas l'idée de cette exécution sommaire pour des raisons différentes. La tension monte entre les 2 meneurs que sont Rick Grimes et Abraham Ford.
Les 2 tomes précédents ont complètement changé la dynamique du titre, tout en s'inscrivant dans la continuité. Le lecteur suit toujours les pérégrinations de Rick Grimes, son fils et quelques rescapés. Mais d'un autre côté Rick Grimes a abandonné toute velléité d'être responsable d'un groupe de survivants et il s'en remet à quelqu'un d'autre, Abraham Ford, un militaire accompagnant un scientifique pour se rendre à Washington. Le lecteur retrouve ce monde dans lequel une infestation de zombies a détruit la civilisation moderne, où des petits groupes d'êtres humains tentent de survivre. Il est à nouveau question d'approvisionnement en armes et en munitions, de s'installer ou de continuer à faire la route, de débiter des zombies en évitant de ne pas se faire attraper bêtement, et bien sûr de confiance les uns dans les autres, pour ne pas avoir à craindre un coup de couteau ou de fusil dans le dos, ou même pour continuer à former une communauté et ne pas partir chacun de son côté. À nouveau, le lecteur est totalement absorbé par l'intrigue, et par les réactions des personnages, la tension qui règne entre eux ainsi que les non-dits.
Comme d'habitude, le travail de Charlie Adlard passe en second. Devant bien composer avec les séquences prévues au scénario, il utilise régulièrement les plans rapprochés sur les têtes des personnages en train de parler, avec un arrière-plan juste gris, ou parfois noir, sans aucune trace de décor, mais avec une légère contreplongée justifiant qu'il s'agit d'un ciel dégagé. Il accentue les expressions des visages pour être sûr que les émotions de base passent bien, et que le lecteur ne commette pas une erreur d'interprétation. Il n'hésite pas à utiliser un angle de vue oblique pour accentuer la dramatisation de la scène, là encore pour bien enfoncer le clou dès fois que le QI du lecteur ne soit pas assez élevé pour qu'il puisse comprendre tout seul. Parmi les tics graphiques d'Adlard, on retrouve l'utilisation d'aplats de noir aux formes plus conceptuelles que réalistes. Il s'en sert pour donner du poids aux personnages, mais pas pour rendre compte des ombres portées du fait de la source de lumière.
Le lecteur retrouve également les bons côtés des pages de Charlie Adlard. Il a atteint un niveau remarquable de banalisation des personnages et des endroits. Chaque protagoniste présente une allure banale, avec des vêtements fonctionnels du quotidien, dépourvus de réels signes distinctifs comme des marques ou des coupes un peu recherchées. Les environnements relèvent d'une urbanisation tout aussi fonctionnelle. Il n'y a aucune velléité de style dans les bâtiments, aucun parti pris architectural. Les pages décrivent une Amérique archétypale, sans être stéréotypée. Les essences des arbres ne sont pas identifiables, mais le lecteur reconnaît ces grands espaces, ces autoroutes larges et dégagées. Le dessinateur ajoute des tâches provoquées par l'usure du temps et l'absence d'entretien ou de maintenance, depuis plusieurs semaines et même probablement depuis plusieurs mois. Contre toute attente, ces représentations épurées n'en deviennent pas passe-partout car l'artiste sait inclure des détails de maçonnerie, des accessoires, des éléments d'ameublement qui rendent compte de la normalité des lieux, et qui permettent de les distinguer les uns des autres.
Enfin Charlie Adlard se montre très convaincant lors des scènes d'action, ou dès qu'il y a du mouvement. Le langage corporel des personnages redevient plus naturel et moins outré. L'incongruité de ce qu'est devenue la normalité ressort avec force, par exemple lors de la progression tranquille du convoi avec chevaux et voitures, au milieu des zombies indolents. Ce dessinateur sait gérer la spatialisation des personnages et leur progression dans les reliefs des environnements, avec intelligence. En particulier la séquence de fuite pour échapper à une horde de zombies donne l'impression de se tenir aux côtés des personnages, et de regarder par-dessus leurs épaules pour évaluer l'ampleur de cette horde.
Plus ça change, plus c'est la même chose. Robert Kirkman commence à revenir sur des thèmes développés à plusieurs reprises dans les tomes précédents. Le premier est bien sûr celui du prix à payer pour survivre. Arrivé à ce stade du récit, le lecteur a bien compris qu'il n'y aura pas de retour à la normale, et les personnages commencent à s'en rendre compte. Rick Grimes est à nouveau confronté à plusieurs reprises, à des situations où sa vie est physiquement en jeu. Au bord de la dépression suite au prix payé lors de l'annihilation de la communauté dans la prison, il s'en remet à quelqu'un d'autre. Le lecteur éprouve quelques difficultés à accepter que le personnage principal ne soit plus qu'un individu lambda aux ordres d'un autre. Ce ressenti est encore aggravé par le malin plaisir que prend le scénariste à établir qu'Abraham Ford est une idole aux pieds d'argile. Comme Rick Grimes avant lui, il entend mener son petit monde à la baguette, sans concertation. En outre, comme tous les autres, il montre des signes d'usure, le conduisant à imposer sa volonté en faisant preuve d'autoritarisme, en envisageant d'abattre purement et simplement un individu trop casse-pied. Le lecteur se surprend alors à se demander si les ordres de Rick Grimes n'étaient pas vécus de la même manière par les membres de la communauté de la prison.
D'un côté, la situation de Rick Grimes, Carl et les autres a clairement régressé pour revenir quasiment à celle du début de la série. D'un autre côté, elle est montrée avec un point de vue différent. En outre, Robert Kirkman montre à nouveau plusieurs personnages craquant chacun à leur tour, chacun d'une manière différente. L'un d'entre eux en vient à se suicider par pendaison. Comme à son habitude, le scénariste n'expose pas la situation sous la forme d'une analyse psychanalytique, avec un vocabulaire idoine. Il préfère montrer. Il faut d'ailleurs attendre plusieurs scènes avant que le lecteur ne découvre pourquoi ce personnage a changé d'avis, avec une sentence définitive sur la religion, thème duquel le récit s'était jusqu'alors tenu à distance respectable, avec la seule exception de la foi d'Herschel Greene (mais sans montrer sa pratique). La résilience est à nouveau montrée dans ses manifestations, et ses mécanismes de transition. Le lecteur ressent que Robert Kirkman met en scène à sa manière les 5 étapes du deuil théorisées par Élisabeth Kübler-Ross. En particulier, un personnage en est au stade du marchandage, prêt à accepter que la vie ne revienne pas à la normale, mais que dans ces cas-là il faut qu'il puisse quand même s'installer en paix, dans un endroit où il peut croire qu'il ne sera jamais visité par les zombies. Le scénariste continue de mettre en scène l'utilisation d'un objet transitionnel très inattendu et vu dans le tome précédent, pour Rick Grimes. Là encore, il utilise des concepts psychanalytiques, sans les nommer, mais en montrant leur manifestation extérieure. Il le fait de manière plus traditionnelle avec une nouvelle séquence de rêve dans laquelle l'inconscient de Rick Grimes s'exprime quand même de manière assez littérale.
À un moment inattendu, 3 personnages dont un enfant en viennent à évoquer leurs transgressions morales. C'est également un thème qui avait déjà été abordé, mais qui reste d'une actualité traumatisante. Robert Kirkman enfonce le clou sur le fait que ces nouvelles conditions de vie mettent les individus à l'épreuve, mais nécessitent également un nouveau code moral. Il oppose la propension de plusieurs personnages à attendre un réconfort utopique, avec la réalité de leurs actions, la fréquence à laquelle ils sont amenés à transgresser le code moral en vigueur dans l'état de civilisation précédant l'épidémie zombie. Cette séquence de confidences sur les moments vécus comme les plus traumatisants dégage une puissance émotionnelle encore accrue par le fait que l'un d'entre eux est un enfant. Le lecteur reçoit en pleine face le fait que ce monde infesté de zombies est devenu le quotidien normal pour les générations futures. Pourtant il ne peut s'empêcher de juger la réaction de cet enfant avec ses convictions morales de lecteur, inadaptées à ce monde de zombies, ce qui rend la réaction encore plus poignante.
Robert Kirkman revient également à nouveau sur la question de la confiance. Il joue avec le lecteur d'une manière aussi habile que cruelle. Les différents tomes du récit attestent qu'un individu seul n'a aucune chance de survie dans ce monde de zombies. Le salut réside dans la force que procure le nombre de la communauté. Or Rick Grimes et les autres ont acquis le statut d'étrangers devant faire leur preuve dans une nouvelle communauté qui ne les attendait pas. Ils sont passés du camp des décideurs, ceux ayant le pouvoir d'accepter ou de refuser des nouveaux venus, au camp des demandeurs d'asile dans une communauté. Mais les questions restent les mêmes. Pourquoi une autre communauté accepterait-elle de bonne grâce la venue de nouveaux membres dont elle ne sait rien, auxquels elle ne peut accorder qu'une confiance très limitée ? Kirkman retourne le couteau dans la plaie avec le retour de Morgan Jones, apparu pour la première fois dans le tome 1. D'un côté Rick Grimes le connaît (= un certain niveau de confiance) ; de l'autre côté il présente un comportement anormal, voire même aberrant en termes de survie. Que faire ?
De manière tout aussi évidente, la situation de Rick Grimes en tant que simple membre d'une communauté génère une ambiance conflictuelle. Quel que soit son état d'esprit, il n'en conserve pas moins l'expérience qu'il acquise dans les tomes précédents, et il se heurte aux choix directifs d'Abraham Ford. Il y a donc une confrontation latente entre 2 alpha-mâles qui ne sont pas habitués à travailler ensemble, qui n'ont jamais appris à le faire, à s'approprier des méthodes qui leur permettraient de le faire. Forcément, l'expression de la puissance et de la virilité repasse par la possession d'armes à feu et leur utilisation. Dans ce contexte, il s'agit d'une démarche rationnelle, car les armes à feu permettent de mettre fin à la menace incarnée par la présence d'un zombie. À nouveau, c'est le décalage avec la civilisation telle qu'elle existe aujourd'hui qui fait réagir le lecteur. Une arme à feu sert à tuer (quelle révélation) et elle ne peut pas constituer une réponse aux agressions, un outil pour construire le vivre ensemble. Mais dans le monde de Rick Grimes, c'est un outil de survie à caractère indispensable, et donc une source potentielle de mort subite tout le temps à portée de main, en cas de désaccord entre individus.
Finalement Robert Kirkman ne se contente pas de resservir encore les mêmes thèmes puisqu'il les réaborde en changeant de point de vue à chaque fois. Qui plus, il introduit bel et bien de nouveaux éléments dans son récit, à commencer par l'idée de consigner par écrit les observations faites sur les zombies pour initier une forme de passation de savoir sur le sujet, mais aussi avec le phénomène de horde de zombies. Comme à son habitude, il ne se sert pas des hordes comme d'une métaphore ou d'un commentaire social, mais comme d'un phénomène au premier degré, laissant le lecteur libre d'y projeter n'importe quelle interprétation qui lui passe par la tête.
10 tomes et 5 ans d'existence pour la série : le lecteur apprécie que les auteurs aient toute latitude pour prendre leur temps et raconter leur histoire à leur manière. Il se rend compte qu'il s'est attaché aux personnages qui n'ont rien de héros au cœur pur, mais tout d'êtres humains en cours d'adaptation plus ou moins réussie à un monde dépourvu de sens, où la mort est présente chaque jour et rôde à chaque instant.
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le 20 juil. 2019
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