Vingt-Trois prostituées: Une Forme géniale pour un Fond douteux...
L'auteur relate les 15 dernières années de sa vie qui l'ont poussé, suite à une rupture amoureuse et puisqu'il a des difficultés à séduire, à fréquenter des prostituées. Le trait caractéristique de Brown est impeccable, intelligent, minimaliste. La forme irrégulière des chapitres est très intéressante et ajoute une corde supplémentaire aux procédés de narrations... Bref, du point de vue de la forme c'est brillant et du point de vue du raisonnement, c'est mûrement réfléchi et étayé. Brown est visiblement sincère, honnète avec son lecteur et son argumentaire est bien rôdé.
Mais quel donc ce point de vue? Brown livre "un plaidoyer argumenté pour la disparition de la monogamie possessive et la libéralisation de la prostitution." C'est la deuxième partie de la Bande Dessinée.
Et c'est là que j'ai du mal. Sans doute "esclave de l'invention par les troubadours de l'amour romantique", je ne conçois pas de plus parfait amour que réciproque et monogame; ce n'est que mon point de vue. Aimer ainsi c'est faire le choix délibéré de se consacrer à une personne, une seule personne donc extraordinaire et unique, assez géniale et assez indétrônable pour que le jeu de séduction envers le sexe opposé (ou pas opposé) deviennent vain face à l'épopée de vivre indéfiniment avec cet être unique là. Concernant la disparition de la monogamie possessive, Brown ne me fera ni rêver, ni "ouvrir les yeux", ni changer d'avis même si j'entends ses arguments. Mais ce n'est pas là-dessus que je suis le plus gravelent en désaccord avec Chester Brown.
Je vous enjoidrais à lire ce qu'en écrit Lauren Plume sur le site senscritique; elle dit bien mieux que moi ce que je pense de la prositution et de la position de l'auteur. Ce que je peux dire c'est que Brown en oublie l'inégalité du rapport entre prostituée et client, le contexte socio-économique des travailleuses du sexe qui les pousse à cette pratique (et non pas le plaisir ou la vocation), la mise en servilité de la condition de prostituée, le fait que cette pratique nie littéralement l'égalité homme-femme! Je ne jette évidemment pas la pierre à ces femmes, au contraire, ne serait-ce qu'en vertu des innombrables drames qu'elles évitent tous les jours en jugulant les pulsions masculines (certaines du moins. Oui, oui, je suis un mec lucide!)
Si Brown s'en était tenu à son témoignage en tant que client (la première partie), l'oeuvre auraient été encore plus forte, parce qu'il éclairerait le lecteur sans l'orienter, et l'obligerait à s'interroger, à se positionner. Sans juger ni le client, ni qui que ce soit. En tout cas, la partie argumentaire m'a profondément radicalisé en face de son raisonnement vicié (même si à de nombreux égards il fait preuve de pertinence en opposant amour familial, amitié et amour romantique etc.) Je trouve en définitive l'auteur intellectuellement malhonnète sur la partie plaidoyer pour la libéralisation de la prostitution essentiellement sans doute parce qu'il défend cette libéralisation à travers le prisme du client respectueux.
Bref, c'est une oeuvre à lire; pertinente, dérangeante, touchant, cinglante, agaçante, énervante, visuellement et scénaristiquement d'une qualité exceptionnelle et surtout, une oeuvre au terme de laquelle vous vous serez sans doute forgé une conviction! Quelle qu'elle soit!