Ce tome est le dernier d'une trilogie : (1) Superman's Metropolis paru en 1996, (2) Batman: Nosferatu paru en 1998. Celui-ci est initialement paru en 2003, coécrit par Randy & Jean-Marc Lofficier, dessiné et encré par Ted McKeever, avec une mise en couleurs réalisée par Chris Chucky. Cette trilogie a été rééditée dans Elseworlds: Justice League Vol. 2.
Metropolis est une ville en paix : grâce au règne bienveillant de Super-Man, la ville a gagné en lumière, en beauté et en harmonie, en même temps que Nosferatu maîtrise les ténèbres. Le présent est radieux. Lois Lane continue de présider à la reconquête urbaine, avec l'aide de l'architecte en chef Trevor-Son. En ce jour, ils étudient les écrits de Jon Kent, le fondateur de la ville. Dans les archives de la ville, ils retrouvent un vieux rouleau qui indique qu'elle a été fondée par 3 personnes : Jon Kent, Lutor et une dernière dont le nom n'est plus lisible du fait d'une encre éclaircie par le temps. Trevor-Son indique qu'il est temps pour lui de partir, car il a un rendez-vous. Lois Lane a bien remarqué ces rendez-vous bihebdomadaires très réguliers, mais elle ne pose pas de question. Trevor-Son se rend dans les quartiers chauds de Metropolis et pénètre dans un établissement appelé Palais des Péchés, tenu par le docteur Psykho.
Dès qu'il a passé la porte, il est accueilli comme un habitué, sous le nom de monsieur Smith, et on le mène à sa table. Sur la scène, un clown maquillé à faire peur est en train de raconter une blague gore à base de clown tout en tirant en pleine tête sur un autre clown qu'il tient dans les bras. La salle reste sans réaction à ses tentatives d'humour noir et ne commence à montrer de l'intérêt que lorsqu'il annonce qu'il va céder la place à Diana, l'amazone bleue. Une belle femme vêtue d'un corset, de bas, de chaussures à talons, d'une culotte et d'un chapeau haut de forme entre en scène, baignée d'une lumière bleue. Elle se met à interpréter une chanson pleine de désespoir, qui touche l'âme de tous les hommes présents. Certains quittent la salle, incapables de supporter une telle émotion. À l'extérieur, une forme mi-femme, mi-animale se manifeste dans une zone désaffectée. Sur la scène, le clown annonce que Diana va céder la place aux danseurs à la rose dorée. Les hommes se lèvent et essayent d'attirer l'attention de Diana, mais elle les ignore. Trevor-Son se rapproche d'elle. Un videur lui barre le chemin, mais Diana lui fait signe de le laisser passer. Le docteur Psykho entre dans la salle et indique à Diana qu'il est l'heure de sa prestation spéciale. Profitant d'un moment d'inattention, Trevor-Son les suit quelques moments après, en proie à la curiosité.
Après un hommage à Metropolis (1927) de fritz Lang, et à Nosferatu (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau ainsi qu'à Le cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, le même trio d'auteurs rend hommage à L'ange bleu (1930) de Josef von Sternberg, avec Marlene Dietrich. Le lecteur retrouve donc un homme de la société bien établi qui va s'encanailler dans un tripot où se produit une belle femme en petite tenue, et chantant divinement bien. Néanmoins, il ne suit pas ses élèves, et il est architecte. Sa relation avec elle ne suit pas non plus le schéma du film. Dès qu'il entame la bande dessinée, le lecteur observe également que le trio d'auteurs a été rejoint par un quatrième : Chris Chucky. Ce n'est donc pas Ted McKeever qui réalise la mise en couleurs de ses planches, et la différence est sensible. Chuckry opte pour un rendu plus infographique, et moins organique, s'éloignant d'une ressemblance avec la gouache. Il utilise beaucoup les dégradés de couleurs, sans en rajouter dans le nombre de teintes, mais avec une impression finale très différente. Les dessins mis en couleurs ne dégagent plus cette impression de matière palpable, de textures. Le résultat final évoque plus un comics de superhéros classique, dont les traits encrés sont rehaussés par une mise en couleur ajoutant du relief bien poli par les dégradés, des effets lumineux, avec une approche très naturaliste. Il n'y a que par moment où Chris Chuckry s'en tient à une couleur dominante pour une scène, à commencer par le bleu baignant Diana, ou le rouge orangé pour sa prestation spéciale.
Du fait de la colorisation, le lecteur doit faire un effort pour retrouver l'approche expressionniste de Ted McKeever dans ses dessins. Effectivement, il a choisi un registre plus descriptif. Ce n'est que par intermittence que la mise en images glisse vers un mode de représentation moins naturaliste : les abords des quais en premier plan qui sont plus constitué de formes abstraites pour un enchevêtrement de matières, la fraise servant de col au clown très griffonnée comme si sa tête était sur un plateau, la silhouette de Cheetah aux contours quasiment fluide pour évoquer sa grâce féline, la silhouette de Nosferatu se fondant dans la nuit pour rappeler qu'il s'agit d'une créature des ténèbres, l'entassement des créatures se rebellant sur la cité des Cieux, et plusieurs visages déformés au-delà de toute ressemblance avec la nature humaine. Pour le reste, Ted McKeever revient dans un registre de narration visuelle plus classique, mais en conservant un encrage des contours très pâteux et irréguliers. En fonction de sa familiarité avec cet artiste, le lecteur pourra trouver qu'il dessine un peu bizarrement avec des formes trop irrégulières et pas toujours respectueuses de l'anatomie, ou au contraire trouver qu'il s'est trop assagi et que la narration s'en trouve affadi. Malgré tout, la narration visuelle reste encore éloignée d'une production industrielle mensuelle.
Représentée par Ted McKeever, Diana est une femme à la carrure épaisse, à la forte musculature et au visage assez masculin. Le lecteur ne peut pas la voir comme un objet du désir. Cheetah appartient clairement à la catégorie des monstres, le produit d'une expérience génétique, avec un corps aux contours fluctuant du fait d'une dégénérescence en cours. Le docteur Psykho semble échappé du film Freaks de Tod Browning. En étant passé dans un registre plus descriptif, l'artiste ne ménage pas sa peine. Il commence par une vue panoramique de Metropolis sous un ciel radieux, termine avec un bataillon en provenance des entrailles de la cité, en étant passé par une armée de créatures ailées. Il sait aussi passer dans un registre plus suggestif, par exemple pour la prestation spéciale de Diana avec un fouet, pour la dimension sexuelle et dominatrice de Diana, ou pour celle plus animale et incontrôlée de Cheetah. Même s'ils ne suivent pas la trame de l'Ange Bleu, les scénaristes en reprennent effectivement la fibre sexuelle au travers de Diana. Mais leur intrigue se focalise plus sur ce qu'elle apporte à Metropolis. Le lecteur familier du personnage de Wonder Woman a la surprise de voir que les époux Lofficier en ont une connaissance plus que superficielle. Il y a bien l'île du Paradis, mais aussi l'utilisation du rayon pourpre et la présence de présence de Paula von Gunther qui ramène aux origines du personnage. D'ailleurs avec un peu de recul, il apparaît qu'ils complètent leur trilogie avec le troisième personnage de la trilogie des superhéros les plus emblématiques de l'éditeur DC Comics, en mettant en scène comment ils se complètent dans une sort de trinité.
Le lecteur se retrouve rapidement happé par cette dernière composante qui vient compléter Metropolis (Superman) et sa ville souterraine (Batman). Randy & Jean-Marc Lofficier effectuent un retour en arrière, évoquant un trio de scientifiques ayant travaillé ensemble, un sorcier, un architecte et un donneur de vie. Le récit passe alors dans un registre entre le conte et la mythologie, l'héritage de Diana venant apporter les éléments manquant à la société de Metropolis pour qu'elle retrouve une dynamique équilibrée. D'ailleurs, le lecteur se rend compte qu'il vaut mieux qu'il passe en mode Conte dans sa façon d'aborder la lecture car la narration présente des aspects bizarres, à commencer par le fait que Super-Man n'ait jamais pensé à relever la tête, n'ait jamais remarqué qu'il y a une île flottante au-dessus de Metropolis. De même, il vaut mieux ne pas s'interroger sur la logique de la société dans l'île du Paradis, ou sur la quantité de soldats qui en descend. Le lecteur éprouve également quelques difficultés à concilier les convictions de Super-Man, Nosferatu et Wonder Woman avec les actions qu'ils entreprennent vis-à-vis des amazones. Tout d'un coup, il n'est plus question de conciliation ou de trouver un mode de vie coopératif : on est dans l'affrontement basique, la bonne vieille guerre où il faut triompher de l'ennemi.
Ce dernier volet de la trilogie présente le même attrait que les autres : une référence à un film mythique utilisé pour donner une saveur générale au récit dans lequel les auteurs se livrent à une relecture libre d'un superhéros emblématique de DC. À la lecture il en va autrement : les dessins sont moins expressionnistes et plus concrets, la mise en couleurs est plus ordinaire et l'intrigue s'achemine rapidement vers un déroulement très banal d'histoire de superhéros. Il reste l'incarnation de Diana, très forte et puissante, un ange bleu avec des valeurs morales plus admirables. Au final, cette trilogie présente plus de bons côtés que de mauvais. Randy & JM Lofficier ont fait bon usage de la licence artistique que leur donne le concept Esleworlds. Ils ont su marier l'esprit de films d référence du début de l'histoire du cinéma, avec des individus dotés de capacité extraordinaire, avec le fil rouge de la ville de Metropolis. Les dessins de Ted McKeever font montre d'une forte personnalité, à même de s'émanciper de l'esthétique superhéros, pour des visions plus originales, adaptées à la nature des récits. 8 étoiles pour ce troisième tome, 8 étoiles pour la trilogie.