Ce tome comprend une histoire complète, développée sur la base de la licence vidéoludique World of Tanks (2014). Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016/2017, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Carlos Ezquerra pour les épisodes 1 & 2, et par P.J. Holden pour les épisodes 3 à 5. La mise en couleurs a été réalisée par Michael Atiyeh. Les couvertures ont été réalisées par Isaac Hannaford.
Le récit commence avec le débarquement du 06 juin 1944, en montrant l'escadron Third West Midlands Yeomanry avancer sur une plage de Normandie. Il se compose de soldats sans expérience du terrain, conduisant des tanks de type Sherman Firefly. Le récit suit en particulier le lieutenant Simon Linnet et le caporal Trevor Budd. Ils vont devoir progresser dans la campagne normande, au milieu des haies du bocage. Un peu dans les terres, un détachement allemand se retrouve coupé du reste des troupes. Il se compose de tanks de modèle Panzerkampfwagen V Panther, dont un commandé par Haupman Karl Kraft, avec Stabsfeldwebel Friedrich Stadler responsable de la tourelle. Ce deuxième groupe est immobilisé du fait des tanks qui doivent être réparés. Alors que les mécaniciens s'affairent, le guetteur prévient de l'approche d'avions anglais. Les soldats allemands montent dans leurs chars en espérant survivre au lâcher de bombes.
Une fois le bombardement passé, les mécanos se remettent au boulot sur les tanks encore en état de progresser. Pendant ce temps, les anglais se préparent pour avancer dans les bocages. Le groupe de tanks Firefly est contraint de progresser à la queue leu-leu, ce qui constitue une formation assez vulnérable. Le groupe de chars allemands les voit arriver et engage la bataille. Au cours de l'affrontement, le caporal Trevor Budd se rend compte qu'il n'arrive pas à maîtriser le rythme d'avancée de son tank Firefly, ce qui le met dans une position délicate avec le lieutenant Linnet. Le groupe allemand réussit à s'enfuir, mais Haupman Karl Kraft se retrouve obligé de se mettre aux ordres d'un commandant SS.
Le lecteur est à la fois très surpris et peu surpris qu'il existe un comics World of Tanks. Au vu du succès de ce jeu vidéo, il était fortement tentant de le décliner sur d'autres supports pour pouvoir profiter de cet engouement. Ce qui est plus surprenant, c'est de retrouver un scénariste de la trempe de Garth Ennis sur un projet aussi mercantile. La première page rassure le lecteur sur l'investissement du scénariste. On est à l'opposé d'un récit tout fait dans lequel il suffit de rajouter des tanks génériques pour donner une vague impression de guerre et de champ de bataille. Fidèle à sa passion pour les conflits armés historiques, visible dans chacune de ses séries, Garth Ennis réalise un récit nourri par sa connaissance du sujet, avec une sensibilité intelligente sur le sujet. Pour commencer, il met en scène des modèles de tanks clairement référencés, ayant réellement été utilisés pendant la seconde guerre mondiale, à cette période du conflit. Il peut également s'appuyer sur le sérieux et la rigueur des 2 dessinateurs.
Carlos Ezquerra a déjà travaillé à plusieurs reprises avec Garth Ennis, y compris sur des récits de guerre, dans le cadre de la série Battlefields . Il représente les différents tanks, avec le souci de la précision. Le lecteur peut également lui faire confiance pour l'exactitude des uniformes militaires et les armes de poing. Il remarque tout de suite qu'Ezquerra est toujours aussi impressionnant pour donner des gueules aux personnages. Cela permet de les identifier plus facilement, bien qu'ils portent tous le même uniforme, au sein d'une même armée, bien sûr. Le dessinateur réalise une mise en scène vivante, bien que Garth Ennis alterne entre des scènes de briefing et de débriefing (= surtout des dialogues) et des scènes de mouvements des tanks et de tirs. Le lecteur n'éprouve pas de difficulté pour reconnaître chaque tank, et pour identifier les différents équipages. Le lecteur ressent la force des explosions, le poids des tanks lorsqu'ils se déplacent, ainsi que la fragilité des êtres humains, le tout dans des environnements assez substantiels pour ne pas avoir l'impression que tout cela se passe sur une grande scène vide servant de champ de bataille.
Le passage de l'épisode 2 à l'épisode 3 fait ressortir les différences entre es 2 artistes. P.J. Holden s'applique tout autant pour l'exactitude des tanks, des armes et des uniformes. Néanmoins, il réalise des traits de contours plus propres, plus réguliers que ceux de Carlos Ezquerra. Ce dernier a l'art et la manière pour conférer des textures à chaque surface avec des petits traits secs, et des traits de contours mal ébarbés. Par comparaison, les traits de contour d'Holden sont un peu cassés, mais plus nets. Les visages sont un peu plus réalistes, un peu plus soignés que ceux d'Ezquerra, mais pas plus crédibles, avec finalement des expressions plus caricaturales que celles croquées par Ezquerra. Il se débrouille bien lui aussi pour concevoir des mises en scène qui donnent à voir ce qui se passe, évitant le risque d'uniformité d'une séquence à l'autre. Il sait montrer la part d'arbitraire dans le déroulement de chaque bataille. Il représente les blessures et les morts de façon littérale, sans aucun panache, mais avec une saveur un peu artificielle, les dessins manquant de fluidité. Même si les personnages ont un peu trop tendance à ouvrir la bouche en grand à chaque attaque, Holden sait faire passer des émotions plus nuancées, en particulier pour l'Haupman Karl Kraft.
En effet Garth Ennis met à profit plusieurs facettes de son acquis de l'expérience à écrire des comics de guerre. Pour commencer, les personnages évitent tous les stéréotypes des comics de guerre. Les soldats allemands n'ont rien de méchants assoiffés de sang, les soldats britanniques n'ont rien de valeureux héros. Haupman Karl Kraft apparaît comme un professionnel, souhaitant faire correctement son boulot, malgré l'état de délabrement d'une partie de ses tanks, et souhaitant garder en vie le maximum de ses soldats. Visiblement, ce personnage dispose d'une expérience conséquente du temps de guerre et il n'a aucune intention de se laisser diriger par des petits jeunes, ou par des gradés assoiffés de hauts faits. Certes les allemands ont le mauvais rôle (celui de l'envahisseur et de l'oppresseur), en plus en situation de défaite, mais ils n'en sont pas caricaturés pour autant. Les britanniques ne sont pas non plus caricaturés en valeureux héros intrépides. Le lecteur découvre même que les conseils plein de sagesse proférés par Trevor Budd proviennent d'une autre source qu'une grande expérience, nettement moins glorieuse. Dans les 2 camps, il s'agit d'êtres humains avec des qualités et des défauts.
Comme souvent dans les récits de guerre, les femmes sont les grandes absentes, et il en est de même dans cette histoire, c'est un récit d'hommes (même s'il y a une petite fille dans l'épisode 3). Par contre, cette fois-ci, Ennis a intégré des civils dans une poignée de séquences. Non seulement les soldats ne se réduisent pas à des individus motivés par l'amour de leur patrie et la volonté de d'accomplir des hauts faits, mais en plus ils sont capables de prendre du recul sur les ravages que leurs manœuvres infligent aux infrastructures et aux villages. Il ne s'agit pas de critiquer l'intervention des force alliés, mais simplement de constater les dommages collatéraux pour les civils en temps de guerre. Le récit tient ses promesses d'un récit de guerre, sans pour autant faire l'apologie du patriotisme invasif, et sans diaboliser l'ennemi.
Les dessinateurs savent mettre en scène les affrontements, en spatialisant les déplacements, en cohérence avec les reliefs de l'environnement, et de manière à ce que ça soit compréhensible par le lecteur (ce qui n'est pas si évident). Ils peuvent s'appuyer sur un scénario en béton de Garth Ennis, auteur chevronné de ce type de récit, maîtrisant aussi bien la dimension technique, que la dimension historique. Il sait intégrer son histoire dans la grande Histoire, de manière plausible et convaincante. Il met en scène des individus crédibles et humains, faisant leur boulot avec compétence, mais sans fanatisme ou soif de gloire. Comme le lecteur pouvait l'espérer, Garth Ennis réalise une histoire à l'opposé du travail alimentaire. Il ne se contente pas d'un scénario prétexte pour montrer des tanks qui se tirent dessus, mais il montre la complexité de ce contexte par le biais de plusieurs facettes, le comportement d'êtres humains qui doivent faire avec une situation et un système sur lesquels ils n'ont pas de prise.
L'appréciation du lecteur sur cette histoire dépend de sa familiarité avec l'œuvre de Garth Ennis. Pour un lecteur prenant pour la première fois conscience du savoir-faire d'Ennis en matière de récit de guerre, il s'agit d'un récit étonnant, très riche, intelligent, avec des personnages masculins dans lesquels il est facile de se projeter. L'histoire a bénéficié de dessinateurs sachant transcrire les mouvements des chars, ainsi que les interactions entre les soldats. Pour un lecteur qui a déjà plongé dans la série Battlefields, ce récit est un peu moins dense. En particulier, Garth Ennis & Carlos Ezquerra avaient raconté 3 récits centrés sur un équipage de char : Garth Ennis' Battlefields Volume 3: Tankies, Garth Ennis' Battlefields Volume 5: The Firefly and His Majesty, Garth Ennis' Battlefields Volume 7: The Green Fields Beyond. Dans ces cas-là, il est possible que l'impact de ce World of Tanks soit moindre.