Y'a plus de Jeunesse
7.4
Y'a plus de Jeunesse

BD franco-belge de Frank Margerin (2002)

Pot-pourri sociologique des années 1970-1980

Les albums de Margerin se suivent et, finalement, ne se ressemblent pas trop. Ce recueil de gags et de courtes histoires donne une impression de variété, et parfois de causticité politique et sociale, que l'on trouve beaucoup moins dans ses histoires de blousons noirs dingues de moto et de rock.

L'aspect le plus récurrent des histoires de Margerin - et ce qui en fait l'un des charmes les plus précieux - est cet attachement à un anachronisme des objets et des décors : l'album, paru en 1990, fait état de plusieurs aspects révolus de la France, qui n'ont guère survécu au début des années 1970 - 1975. Le premier gag pourrait presque sans inconvénient prendre place dans la décennie 1930-1940 : ce vieil instituteur fait l'inventaire de tous les objets confisqués à ses élèves pendant toute sa carrière, et étale des trombones en chaînons, des pistolets à patates, des Dinky Toys, des "bombes algériennes", des soldats de plomb, des yoyos, des scoubidous, des gadgets de Pif... A part les deux derniers (années 1960-1970), tout le reste pourrait remonter à 70 ans au moins ! Et la boutique de l'instit' en question, à grandes vitrines intérieures et à gros tiroirs étiquetés, n'aurait pas détonné sous le Front Populaire ! Vers la fin de l'album, un autre récit scolaire montre pourtant que le bordel perdure pendant les cours, de génération d'instit' en génération d'instit'...

Le meilleur dans le genre, c'est le bref récit de la famille qui va camper au bord de la mer, dans un camping hyper-sommaire mais surpeuplé des années 1955-1970 : que de notations exactes pour suggérer l'entassement et la promiscuité de l'époque ! Au fond de la première vignette, la pyramide suggère l'architecture (futuriste à l'époque, donc ringarde aujourd'hui) de La Grande-Motte. Tout y passe : la seule place disponible près des poubelles, les sandows qui te pètent sur le nez, la collection d'écussons sur les vitres arrière des caravanes, les chiottes infectes, les guêpes pendant le pique-nique, la mer dégueulasse, la queue pour aller aux douches, le vacarme nocturne... C'est gentil, mais c'est aussi du reportage, voire de l'archéologie !

Nettement plus moderne, l'insupportable Flipo vient dévaster l'appartement de son pote Fernand en lui enseignant la break-dance.

La collaboration de Margerin avec le journaliste Phil Casoar au scénario nous vaut quatre récits des aventures de Skoup et Max Flash, journalistes foireux, à caractère politique nettement marqué : le premier sur les us, coutumes et phraséologie des communistes français à l'époque de Georges Marchais (représenté page 19) (comme les communistes sont ministres (page 18), on est forcément vers 1981-1982); le deuxième sur la vulgarisation du trafic de drogue; le troisième sur les reportages "en situation" dans le milieu des travailleurs immigrés; le quatrième sur le conflit école publique-école privée (la première étant présentée comme socialo-communiste, la deuxième comme lepéniste), ce qui est bien dans la problématique des années 1983-1984.

Dans cette lignée "sociologique", deux pages cinglantes sur "Les nouveaux bébés", ceux de la génération des parents qui lisent "Libé" et qui croient à la psychanalyse, fabriquant à la pelle des futurs tyranneaux qu'ils n'ont jamais voulu traumatiser par le moindre interdit. Un autre récit sur l'inversion des rapports jeunes-vieux à l'époque punk.

Certains gags relèvent d'une inspiration plus spécifique : le Dr Kosmof et ses aventures spatiales de (très) haute fantaisie, et d'humour assez potache ; de brefs strips ironisant sur les arcanes des expressions "francophones"; trois planches de "BD de Noël" sur la drogue (curieux...); Jacky Berroyer qui scénarise une scène de sodomie entre (futurs) potes d'une "bande" (intégrant dans une vignette quelques cases d'une BD de Francis Masse). Enfin, le récit-titre, en finale, a quelque peu vieilli (nouveauté de l'informatique à la maison).

Plus musclé et plus varié que d'autres opus de Margerin, l'album est assez drôle, sans toutefois dépasser la qualité d'un témoignage sur un époque donnée.
khorsabad
7
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le 9 juil. 2013

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khorsabad

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