L’intrigue de Zetman est semblable aux poupées russes : de multiples thèmes viennent s’ajouter au propos de départ, créant ainsi une histoire riche, où les rebondissements abondent, où la vérité n’est pas toujours là où on le pense. A cet effet, les allers-retours entre présent et passé ne sont pas rares et les premières pages de la série donnent le ton : une fois le prologue passé, on est replongé 13 ans en arrière. Il faudra attendre le chapitre 220 pour revenir à la scène inaugurale.
Cette profusion d’intrigues et de révélations, en plus des va-et-vient temporels et de l’apparition de nouveaux personnages peut dérouter, donner l’impression d’un ensemble confus. Faut-il laisser le manga nous tomber des mains et ne pas le ramasser ? J’opte pour une réponse négative et la suite va s’efforcer de justifier ce choix.
Au départ, les questions tournent autour des players. Pour les décrire en quelques mots, ce sont des personnes à première vue comme tout le monde à ceci près qu’elles sont le fruit de travaux génétiques pas vraiment légaux. Les players peuvent se transformer (« régresser ») en monstres dignes de nos pires cauchemars et alors (pulsions de meurtre) ils tuent des humains. Commence alors une grande enquête pour comprendre qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. Rapidement le nom d’Amagi Corporation apparaît. Cette puissante entreprise multi-produits est liée aux players, dans un rapport qui rappelle parfois celui du Dr Frankenstein et de sa créature.
Inutile de dire que les intrigues autour d’Amagi vont aller en se multipliant. Pour autant, elles n’occupent pas toute la scène. En parallèle on voit les personnages principaux (Jin, Kôga, Konoha…) grandir, nouer des relations avec leur entourage, trouver l’amour… Se trouve également évoquée la question de la vie en société, de la place que chacun occupe : être l’héritier ou l’héritière d’un grand groupe est-ce la vie rêvée ? La pauvreté empêche-t-elle de vivre des moments agréables ? Quelle place pour les pauvres et les players ? Ces derniers doivent-ils être exterminés sans distinction ?
Un parallèle peut d’ailleurs se lire entre la situation de départ des players et celle des personnes résidant dans un ghetto (1) avec la présence de quatre éléments centraux (le stigmate, la contrainte, le confinement spatial et l’emboîtement institutionnel) permettant la réalisation de de deux objectifs : exploitation économique (maximiser les profits que l’on peut obtenir des players) et ostracisation sociale (minimiser les contacts avec eux pour éviter toute corrosion et contagion symboliques). Cela peut sembler un peu fort au premier abord mais la lecture du tome 7 renforce ces idées.
Comme un écho à un point de départ peu joyeux, le manga comporte plusieurs scènes particulièrement marquantes : balle dans la tête, viols, lacération, découpe… ainsi que des situations peu reluisantes : des personnes que l’on fait disparaître, d’autres que l’on « enterre » vivantes… M. Katsura n’hésite pas à nous dépeindre une réalité sombre, où les humains peuvent faire le meilleur (amour, amitié, entraide…) comme le pire (violence, rivalité, soif de pouvoir, vengeance). Les gens les plus hauts placés ne brillent d’ailleurs pas souvent par leur vertu même si des exceptions existent (Konoha et sa mère). Les humains sont-ils alors si différents des players ? Les références, dans les discours des personnages, au noir, à la nécessité d’avoir une personnalité plus froide, plus sombre renforcent encore ce côté obscur de Zetman.
Cette noirceur de l’œuvre se retrouve dans le dessin de l’auteur. Outre les oppositions lumière/obscurité ; noir/blanc (et tous les dégradés possibles), que ce soit au niveau des personnages comme de leur environnement, M. Katsura sait proposer de multiples jeux d’opposition (haut/bas ; proche/lointain ; décor en ruines/habitation en bon état…) ce qui rend nombre de planches particulièrement réussies.
Le problème principal qui survient alors c’est que, dans une telle perspective, trop peu de personnages (principaux) meurent. S’il y a des morts dans Zetman, si leur disparition est touchante (l’auteur sait s’y prendre pour montrer la douleur des personnages, les disposer, faire parler ses dessins plus que ses personnages) il reste que le taux de survie reste élevé pour le moment. Trop sans doute. Peu à peu le caractère dramatique de la série s’estompe et on se dit que oui, la situation est grave mais au fond les têtes d’affiche n’ont pas trop de soucis à se faire. La suite du manga tranchera peut-être avec cette tendance.
Au passage, Zetman contient quelques scènes ecchi/etchi qui raviraient sans mal le Dandy de Shin’ichirō Watanabe (cf. Space Dandy). Pas franchement nécessaires mais pas omniprésentes sur « longue période », ces planches renforcent la diversité des situations présentes dans le manga et rappellent que M. Katsura se défend aussi à ce niveau-là (il n’est pas l’auteur de M pour rien).
L’un (Kôga) a toujours voulu devenir un justicier connu (et reconnu) ; l’autre (Jin) l’est malgré lui et finit par vouloir protéger les personnes qui lui sont chères. Leur point de départ est donc très différent et lors de sa première patrouille, Kôga a un aspect Kick-Ass du riche marqué, avec un équipement concocté par trois scientifiques d’Amagi – trois personnages qui forment une fine équipe amusante à observer (et très ingénieuse). Leur véhicule de départ (un van qui fait penser à Scooby-Doo) a d’ailleurs été réalisé à partir d’un dessin de Akira Toriyama !
Aussi, au travers des bastons, scènes d’action et explosions, Zetman est parcouru par le thème de la justice ; Kôga en est d’ailleurs obsédé (au point de devenir lassant par moments). Notre jeune héros a la tête pleine de belles idées, au point d’apparaître naïf dans bien des cas. En situation, tout devient bien plus compliqué : comment faire le bon choix ? Quelle décision est la meilleure ? Kôga va comprendre – et entendre – que vouloir administrer la justice n’est pas simple.
Son attitude contraste avec celle de Jin, plus pragmatique, qui attend d’être en situation avant de voir ce qu’il faut faire. Il suit son instinct et cette attitude le fait passer pour un modèle aux yeux de Kôga. Suivre leur itinéraire dans ce cadre est donc particulièrement intéressant : leur complémentarité est forte mais parfois source de tensions.
Surtout, un moment particulièrement marquant survient lorsque l’héritier d’Amagi se fait questionner par Haïtani (cf. volume 17) qui met à l’épreuve la pensée de Kôga tout en rappelant – savoureusement – que, pour un justicier, Kôga est près à tous les coups tordus pour remporter un combat. La justice est à ce prix…
Jin ne possède rien si ce n’est sa force (de travail ?). Il n’est pas Kôga du point de vue du capital économique et il risque à chaque instant de perdre le peu qu’il possède (ses amis…) à cause de son statut de Zet qui le condamne à affronter tous les players. Symbole ou ennemi pour Evol, cette dernière compte bien ne pas laisser Jin en paix. Il voudrait vivre sa vie mais rien n’est simple quand on est l’objet d’autant de sollicitations. Son refus du luxe et son souhait de mener une vie simple, en décalage avec les Amagi qui l’entourent, en fait un personnage singulier dans le manga. Un personnage qui sans avoir un charisme hors du commun, qui le hisserait dans le top des meilleurs héros de manga, le rend sympathique.
La question qui hante alors la suite de la série est simple : quel avenir pour la société de Zetman ? L’harmonie ou le chaos sont à ses portes. Sera-t-elle balayée par les evols ? La chasse aux sorcières aura-t-elle lieu ? Le paradoxe serait alors grand, entre une société souhaitant éliminer la menace player alors qu’un de ses sauveurs en est un. Jusqu’à quel point peut-on accepter la différence ? Faut-il se cacher pour vivre lorsqu’on n’est pas comme les autres ? Autant d’interrogations centrales et actuelles qui font de Zetman, sous ses allures de manga de baston survitaminé, une série plus profonde qu’un bref regard pourrait le laisser penser.
Seule petite limite : un rythme de parution ralenti et l'auteur étant parti pour une nouvelle oeuvre avec son compère Toriyama on risque d'attendre un moment la suite de Zetman alors que le premier Acte s'est terminé avec le tome 20...
(1) Cf. Loïc Wacquant, 2005, « Les deux visages du ghetto. Construire un concept sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°160, pages 4 à 21.