Nouvel interprète de James Bond depuis 2006, Daniel Craig avait su brillamment mettre en pièces le mythe (Casino Royale) pour mieux le rebâtir film après film. C'est donc au bout de trois aventures que le personnage devenait celui que l'on connait. L'épilogue de Skyfall présentait le retour d'un M masculin (Ralph Fiennes), celui de Miss Moneypenny (Naomie Harris) et le fameux Gunbarrel qui clôturait le film, bon moyen de signifier que la (re)naissance de Bond était achevée. Le volet suivant serait donc un retour aux James Bond classiques donc? Avec Craig en place, la perspective était alléchante. Avec Skyfall, Sam Mendes clôturait le reboot. Avec Spectre, le réalisateur entend boucler le cycle Craig.
Car suite à une mission ayant mal tourné à Mexico, 007 se retrouve suspendu par un M déjà bien échauffé par un plan visant à arrêter le programme 00 au profit d'un plan de surveillance globale. L'agent le plus célèbre de sa Majesté ne compte pourtant pas en rester là, et va vite se retrouver sur la piste d'une organisation qui pourrait bien être à l'origine de ses précédents tourments...
Formellement, Spectre s'impose comme l'un des plus beaux de la saga. La première heure et demie est une vraie pépite. L'introduction tout d'abord avec un plan-séquence d'une élégance folle lors de la fête des morts à Mexico. Bond qui se fraie un passage entre les nombreux passants déguisés, avec une tête de mort en guise de masque. Belle métaphore d'un homme qui a su la tenir en échec tout en l'entraînant sur son passage. Puis l'introduction des personnages et des enjeux est un modèle de narration. Tout semble naturel, rien n'est forcé ou bâclé. Le mythe à l'épreuve du moderne? Oui, toujours. C'est aussi la clef de voute du personnage, cette perpétuelle remise en question. Hier, il devait répondre de son utilité dans un monde où les dangers ne sont plus représentés par une nation ou un drapeau. Aujourd'hui, il est mis à mal par un programme de surveillance, qui entend utiliser des drones à la place d'agents de terrain. Le lien avec le réel est évident, et la ligne pro-Snowden de Spectre est évidente.
Les personnages secondaires inhérents à la saga font leur retour. Ralph Fiennes est parfait en M. Naomie Harris est une excellente Moneypenny. Mais c'est Q qui retient le plus l'attention. Ben Whishaw a trouvé ses marques, et ses scènes sont rafraichissantes. La virée à Rome est également une réussite. La première apparition du Spectre et de son mystérieux chef, Franz Oberhauser est majestueuse. Mendes retrouve les sommets de Skyfall, les plans et la photographie (de Hoyte Van Hoytema) tutoient fréquemment le sublime. De plus, Daniel Craig est toujours aussi Bon(d). Le personnage est plus ironique tout en conservant cette épaisseur humaine que Craig a apporté.
Une heure trente absolument géniale qui aurait dû placer Spectre au summum...si la suite avait été du même acabit. Non pas que l'heure qui suit démérite mais elle ne fait pas vraiment honneur à ce qui précédait. Les scènes d'action sont réussies (notamment le combat dans le train, dévastateur) et l'ensemble est distrayant. Mais l'écriture est à la peine. Sitôt que l'on rencontre enfin le méchant, Spectre rentre dans le rang. Christoph Waltz est sobre mais son personnage n'offre pas de vrai relief (à l'inverse du Chiffre ou de Raoul Silva), l'intrigue devient prévisible et Bond ne semble jamais vraiment en danger (la scène de torture est vraiment bof). Chose un peu dommage, surtout au regard du réalisme que Craig avait su imposer depuis son arrivée. Léa Seydoux est moyennement convaincante en James Bond Girl, Monica Bellucci ne fait que passer (5 min puis s'en va).
Et la dernière partie est décevante, là ou Casino Royale et Skyfall nous tenait en haleine jusqu'au bout. La musique de Thomas Newman est également en deçà de ce qu'il avait offert il y a 3 ans. Et le titre principal de Sam Smith est soporifique. Cela reste de bonne facture (supérieur à Quantum of Solace, à mes yeux) la réalisation étant des plus inspirées, Craig au top et l'humour est plus présent que par le passé. À l'issue des 2h30, la boucle semble bouclée. Même si la porte reste ouverte pour un dernier tour de piste avec Daniel Craig (je l'espère en tout cas). Espérons que les producteurs entendront les appels de Craig qui -fatigué par le tournage éprouvant de Spectre- réclamait un répit avant de revenir. Car un délai de deux-trois ans serait sans doute bénéfique pour soigner une intrigue sur toute la longueur et ainsi finir "l'ère Craig" en apothéose.