Où es-tu, James ? On t’avait quitté exsangue, à bout de souffle face au manoir de tes parents en proie aux flammes. Le passé que tu avais exorcisé par le feu et la douleur t’a rattrapé comme s’il te collait à la peau et t’empêchait de vivre, quoiqu’il arrive. Tu endures, James. Sans broncher. Sans un mot ou presque, roc immuable d’un système au flegme anachronique. Ta vie ne se résumerait-elle qu’à une boucle qui tourne à vide depuis trop longtemps, sans vouloir regarder la réalité en face ? Tu vaux mieux que ça, James. Tes vieux démons, les objets de ton désir se réincarnent aussi inlassablement que ta propre apparence, sans échappatoire. Alors à quoi bon ?
« Skyfall », par son esthétique fascinante et surtout par son récit étonnamment intimiste, était parvenu à conserver le charme de la série tout en l’aventurant hors des sentiers battus. Avec « Spectre », on attendait de Sam Mendes qu’il soit à la hauteur de son précédent exploit. Mais un pareil scénario ne pouvait pas le mener bien loin, malheureusement : la subtilité fait ici place au convenu absolu. Pour changer, le problème vient d’une organisation terroriste qui veut contrôler et épier tout ce qui bouge, par la manipulation de nos dirigeants apeurés des attentats. « Orwell doit se retourner dans sa tombe ». Si le questionnement de l’efficacité d’une surveillance généralisé dans la lutte contre le terrorisme est on ne peut plus d’actualité, le film ne s’y attarde pas et fait de cet aspect du récit un quasi-prétexte aux pirouettes pyrotechniques aussi clinquantes et superficiels que les bagnoles de James. Alors que le dernier « Mission Impossible » brillait par un rythme effréné et une romance un peu subtile, ce « Spectre » nous balade laborieusement durant 2h30, où Léa Seydoux nous fait le coup de la femme fragile sans saveur et James cabotine sans passion ni faille, même quand on lui perce le cerveau avec une aiguille.
Quant à Christoph Waltz qui s’annonçait comme le digne successeur de Javier Bardem en méchant, sa présence est finalement anecdotique. Si la mystification du personnage est réussie dans un premier temps, il se révèle rapidement être le pathétique génie fou qui ne cherche qu’à se venger de James pour une raison proprement ridicule. C’est toujours à travers ses ennemis que James combat sa propre névrose, mais il reste ici impassible plus que jamais. Il s’enferme dans une élégance morne à un tel point qu’on n'y croit plus. Avec autant de conquêtes amoureuses, qui parfois l’affectent mollement comme Léa qui lui sort « on a toujours le choix », il y a de quoi devenir fou. Il se dessine alors un personnage embrumé, qui apaise sa douleur avec un bon verre de champagne, la main gauche au volant et la droite dans les cheveux d’une blonde qui repartira de toute façon comme elle est venue. Personnellement, je trouve cela d’une tristesse sans nom.
Le flegme anglais trouve ici ses limites jusque dans une réalisation sans esbroufe, qui impressionne peut-être au détour d’une ouverture en plan-séquence ou de quelques jeux d’ombres, mais reste en déca de ce qu’on pouvait attendre de Sam Mendes. Après « Crimson Peak » et « Avengers 2 », voici un troisième talent d’exception de la machine hollywoodienne qui déçoit cette année, proposant un film maladroitement dans les clous, d’un classicisme vain.