Le très Bond…
« Les morts sont vivants » cette phrase en exergue de Spectre bien
dans l’esprit funèbre de Skyfall annonce en fait la résurrection des
figures traditionnelles de la saga James Bond
Le retour des droits d’utilisation de l’organisation éponyme (et de ses dirigeants…) dans le giron de la série officielle (après 42 ans de bataille juridique) achève la restauration déjà amorcée dans les dernières minutes de Skyfall , plus gros succès de la série mais paradoxalement parmi les plus atypiques. Sam Mendes conserve de hauts standards visuels qui font des Bonds les blockbusters les plus beaux ,avec une photo spectrale signée Hoyte Van Hoytema directeur de la photographie d’Interstellar (confirmant l’influence de Christopher Nolan sur la vision de Mendes) et des décors à la fois grandioses et dépouillés de Dennis Gassner.
Spectre tisse un lien à travers la sinistre organisation entre toutes les aventures de l’époque Craig qui peuvent être vues comme une seule gigantesque histoire, comme jadis dans le générique d’ Au Service Secret de sa Majesté on voit défiler dans le sublime générique gothique et tentaculaire de Danny Kleinman (qui fait oublier le manque d’ampleur de la complainte de Sam Smith) ses précédents ennemis du Chiffre à Silva.
Le retour du « gun barrel » avant un pré-générique très réussi qui s’ouvre sur un sublime plan séquence et s’achève sur un combat dans un hélicoptère fou au dessus de milliers de festivaliers du Jour des Morts ) annonce le retour des figures imposées du « canon » Bondien. La première moitié du film est un vrai régal les revisitant sous un prisme moderne : le badinage entre Bond et Moneypenny (Naomi Harris), le passage dans le bureau de M , la présentation des gadgets par Q (un très bon Ben Whishaw) , l’enquête qui le conduit aux quatre coins du monde (Mexique, Italie, Alpes autrichiennes, Maroc), les deux girls, la base secrète du méchant et pour le retour en force d’un humour quasi absent de la franchise depuis Casino Royale.
Il me semble inconcevable qu’il s’agisse la du dernier 007 de Daniel Craig (il a encore un film à son contrat) tant il est désormais indissociable d’un rôle qu’il maîtrise tel un virtuose cet apport d’humour (demandé par l’acteur lui-même) ajoutant de nouvelles nuances à son interprétation. Son Bond si il reste toujours aussi brutal semble moins torturé et assume pleinement son statut d’assassin.
Dave Bautista (Drax de Guardians of the Galaxy) m’a fait forte impression livrant une nouvelle interprétation de la figure de l’homme de main dans les Bond. Son Mr.Hinx n’est pas un simple acolyte, il occupe une position haut-placée au sein de Spectre c’est certes un colosse mais élégant, manucuré arborant toujours aux lèvres un sourire énigmatique lourd de menace. Son introduction lors d’une réunion plénière de l’organisation, fantastique séquence hommage à celle d’Opération Tonnerre, est mémorable et son affrontement avec 007 connait son apothéose lors d’un combat sauvage dans un train la encore un hommage à celle qui opposait Sean Connery à Robert Shaw dans Bons Baisers de Russie. On sent 007 réellement en danger et impuissant face à la vitesse et la force de l’agent du Spectre et on parle bien du Bond uberviolent incarné par Daniel Craig et non du gentleman campé jadis par Roger Moore
Comme dans Skyfall, le personnage de M (Ralph Fiennes) à son propre arc narratif (et même un antagoniste dans la personne de Denbigh) qui place le film dans notre réalité actuelle post-Snowden questionnant la légitimité de la surveillance de masse . Il forme avec Moneypenny, Q et son chef d’état-major Bill Tanner (Rory Kinnear) une véritable équipe autour de Bond.
Et le moins Bond…
En regard du retour d’un antagoniste aussi majeur que le Spectre dans la franchise on s’attendait à un plan beaucoup plus ambitieux d’autant que Spectre est censé être l’aboutissement d’une vaste arche narrative qui lie tous les films de la période Craig. Cette absence d’enjeu majeur pèse sur le troisième acte du film qui offre un final anti-climatique au possible ses auteurs se montrant incapable de tenir les promesses de la première moitié du film. (Il est à noter que lors du fameux « Sony hack » des notes des dirigeants de la major se montrait très critiques sur ce final).
Certes Christoph Waltz fait ce qu’on attend de lui et apporte le ton faussement badin mais réellement menaçant qui a fait son succès mais son personnage de John Harrison…pardon « Franz Oberhauser » n’est pas un méchant particulièrement convaincant en dehors de ses liens à la mythologie Bondienne et des frissons qu’ils provoquent chez le fan. Ses motivations ne sont jamais particulièrement claires , sa relation avec Bond (même si elle utilise des éléments des romans de Fleming) semble forcée. L’intrigue, une fois qu’il entre en scène devient plus brouillonne et il doit lutter pour donner de l’épaisseur à un archétype qui frôle parfois la parodie.
Je n’ai pas été convaincu par la romance entre Bond et Madeline Swann (Lea Seydoux) au delà du fait que je sois complètement allergique au jeu de l’actrice française, cette relation est bien trop rapide pour justifier pourquoi Bond semble tomber amoureux pour la première fois depuis Vesper Lynd.
Autre défaut de Spectre le peu d’appétence de Sam Mendes pour filmer l’action n’est plus compensée comme dans Skyfall par le montage nerveux du vétéran Stuart Baird remplacé par Lee Smith (monteur de Christopher Nolan comme par hasard) Les grandes séquences d’action à l’exception du pré-générique sont assez peu spectaculaires. Parfois son souci d’esthétisme vient nuire au caractère viscéral de l’action ainsi une course poursuite dans les rues étrangement vides de la Ville Éternelle est dépourvue de toute tension. Cet « angle mort » chez Mendes l’empeche de transcender l’écriture médiocre des rebondissements du final.
Conclusion : Malgré l’absence d’un vilain mémorable et un final anticlimatique Spectre marque un retour jouissif aux figures essentielles de la « formule 007 ».