Voilà un film assez passionnant.


J'aime beaucoup la narration : on nous place devant des audiences, on suit ces petits bouts d'histoire. Ce qui m'a paru formidable, c'est qu'il n'y ait pas vraiment de gentil ni de méchant : chacun a son objectif, les personnages s'opposent la plupart du temps, parfois dans la bonne humeur, parfois pas. Je ne sais pas si c'est juste moi, mais sur les derniers cas, la vice-présidente m'a paru de moins en moins agréable, plus nerveuse, plus sur la défensive (bon il est vrai que le jeune coq de la dernière audience était un peu arrogant, mais disons que pour d'autres ayant le même état d'esprit, elle ne s'est pas montrée aussi susceptible) ; le cas du sociologue est également intéressant, le ton monte un peu sans que cela ne soit justifié.


Ce qui m'a le plus plu, c'est l'humour qui déborde du film, notamment grâce à un comique de situation (la grammaire est finalement très proche d'une comédie, à savoir des plans fixes où on laisse les acteurs s'exprimer, avec parfois des longs plans sur les réactions et un soucis du détail de l'ordre de l'expression) ; le plus beau, c'est de voir la nervosité de ces gens qui vont jusqu'à raconter un peu n'importe quoi, surtout des bêtises. Voir d'autres inventer je ne sais quel gros mensonge à peine crédible dans l'espoir de s'en sortir et parvenir malgré tout à instaurer le doute à la dernière minute à cause d'une réaction extrême. Soit, j'ai beaucoup ri. C'est une belle étude humaine au fond, ce film.


Je ne suis pas sûr de savoir ce qu'a voulu faire passer le réalisateur (si il a voulu faire passer quelque chose) ; vu qu'il y a eu environ 200 cas filmés, comment ont été sélectionnés ceux qui sont présentés, sur quels critères ? J'aurais bien voulu savoir. Non pas que ce soit important pour savourer le film (en soi, il se regarde très facilement, comme une série de courts), mais disons que ça permettrait de mieux définir ce que l'on voit. J'ai eu l'impression que c'était un peu raciste par moment. Je ne sais pas trop si c'est juste moi, mais je trouve que les français sont un peu mieux représentés, au pire, ils seront un peu arrogants ou incapables d'admettre leur faute (faute souvent mineure), alors que les 'autres' sont en général un peu plus... disons... particuliers. Mais bon, je m'en fiche un peu que ce soit raciste ou pas, au final. Tout ce que je sais, c'est que j'ai regardé des cas intéressants et que ça me donne même envie d'assister à quelques audiences un jour.


J'ai apprécié le travail scénique très sobre. Comme écrit plus haut, le réalisateur scrute les visages et joue des réactions des gens (avec parcimonie tout de même, il aurait été pénible de tomber dans le style des frères Coen où les personnages deviennent des caricatures d'eux-mêmes), et ce avec un juste choix de plans lors du montage. Et si je ne sais pas selon quels critères les intervenants ont été choisis, je sais au moins qu'ils ont une manière de s'exprimer, une certaine présence (en même temps, le travail de caméra leur donne d'office du charisme vu l'angle de vue le plus souvent adopté) et qu'aucun n'ennuie (à part un avocat, mais là, le réalisateur nous montre que même la vice-présidente semble emmerdée de devoir l'écouter raconter ses conneries sur le cœur). Je pense que le film aurait gagné à être un rien plus court : 1h30 aurait été parfait. Car sur la fin, j'avais l'impression qu'on avait fait le tour, peut-être parce que les derniers cas sont un peu moins intéressants, un peu répétitifs.


Bref, ce documentaire est plutôt intéressant.


Edit : après lecture de la critique de Gallu, je m'aperçois que je peux déceler une sorte de message : la loi apparaît comme une machine à broyer impitoyable. Il parle aussi du fait qu'il est difficile de tenir avec l'un ou l'autre, et c'est vrai que j'ai ressenti cela aussi : par moment j'avais l'impression que les accusés avaient un peu raison, comme notamment le message que délivre le dernier cas qui insiste qu'il n'a pas le choix de rouler si vite, sinon il se fait virer, et de la vice-présidente rétorquer, comme si c'était si simple, qu'il y a d'autres métiers qui ne nécessitent pas de conduire (parce que bon, le type roule sans permis, il faut bien le dire). Là où ma pensée diffère de celle de Gallu, c'est que : je pense que Depardon ne veut pas forcément nous faire hésiter. Il commence par nous montrer la vice-présidente comme étant gentille, la loi devient donc quelque chose de sympathique. Et petit à petit il nous la montre de moins en moins positive, voire naïve. Le fait qu'il choisisse cet ordre de comparution n'est pas anodin je pense : si c'est toujours plus tard dans la journée, c'est surtout pour signifier qu'en progressant, la loi s'affirme, se créée ses propres préjugés, se lasse peut-être aussi et devient plus mécanique que vivante. Donc, pour moi, Depardon ne laisse pas tellement de doute : la loi, ou du moins son application manque d'humanisme et devient forcément l'ennemi du citoyen (sinon pourquoi ne pas terminer sur une affaire plus légère et redorer le blason de la vice-présidente ?).

Fatpooper
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le 19 avr. 2016

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