Bon, je vais être conspué, mais j'ai eu une fois de plus le sentiment d'avoir affaire avec "120 battements par minute" à un film à la fois porté et desservi par l'une de ces désormais classiques "hystéries cannoises", dédoublée par l'enthousiasme d'une certaine critique parisienne y retrouvant ses clans et ses codes : du coup, ce film absolument notable, mais loin d'être complètement réussi, souffre d'un niveau d'attente disproportionné par rapport à ses qualités, certaines mais plus humbles. Personnellement, je me suis passionné pour ces longues scènes de débats au sein d'Act Up, qui retrouvent non sans magie un certain "esprit de Mai" (les plus jeunes citeront la "Nuit Debout") et réinjectent le combat politique dans notre époque désabusée : c'est beau, c'est excitant, c'est un retour festif d'un certain cinéma militant qu'on avait bien oublié. Bien sûr, on peut immédiatement faire une réserve en déplorant que le combat célébré et immortalisé ici est un combat passé, une bataille (contre le mépris, contre l’indifférence) désormais largement gagnée. Mais ça reste du p... de cinéma : excitant, vivant, drôle souvent, poignant parfois. Et ces débats sont formidablement prolongés par les scènes (urgentes, stressantes) d'intervention, qui ont pour fonction de matérialiser la parole, de la poursuivre. Maintenant, Campillo a eu l'ambition un peu folle d'équilibrer son portrait de groupe par un portrait de couple dévasté par le SIDA, puis par la Mort. C'est indiscutablement pertinent, cela nous rappelle qu'il n'y a de combat politique vraiment juste que quand il s'agit de vie ou de mort, et cela installe une oscillation puissante entre société et individu. Malheureusement, il s'agit aussi de la partie du film la plus conventionnelle : l'émotion indéniable qui s'en dégage a quelque chose de plus convenu, de moins brûlant, comme si le film limitait alors les risques pour conquérir un public plus large. C'est là un bémol important à la force de "120 battements par minute", mais ce n'est pas non plus une raison suffisante de se priver du reste. En tous cas, Campillo confirme ici sa singularité et son talent, et ça, c'est formidable, sans aucun bémol. [Critique écrite en 2017]