Je ne sais pas vraiment ce que je pense de ce film. Je m'attendais à être déçu, mais je ne m'attendais pas à avoir trouvé ce film à la limite de l'insupportable, non pas parce qu'il est médiocre, mais parce qu'il touche juste. Je déteste ce film non pas parce qu'il est raté, mais parce qu'il m'a profondément heurté, intimement choqué, bouleversé et même fracassé à un point que je n'ai pu en dormir de la nuit. Les critiques sont très partagées sur le film, et je dois dire que je n'étais pas forcément disposé à regarder un film documentaire bien-pensant sur ce que des chercheurs appellent les "nouveaux mouvements sociaux" (Alain Touraine). Pourtant, dès les premières minutes de l'ouverture du film, le film intéresse directement par la spontanéité (parfois un peu surjouée) des acteurs, et l'on s'intéresse beaucoup avec un peu de mépris à ce qui nous semblent être des militants gauchistes du début des années 90 d'Act Up. Peu à peu, derrière les actions spectaculaires, quelque chose s'insinue dans l’œil du spectateur, une forme de doute qui s'infiltre dans l'esprit, très volatile et qui finit par grandir lentement pour nous bouleverser totalement,au gré des malaises, des hospitalisations et des morts. Cette histoire d'Act Up, qui a comme toile de fond une histoire d'amour entre un garçon séropositif et un autre garçon séronégatif, ainsi que des assemblées générales de l'association, passe peu à peu au second plan, presque comme un espoir un peu nébuleux, parfois immoral, souvent désespéré.
Toute la saveur du film passe par le grand naturel de la réalisation et de la mise en scène qui ont misé grandement sur le réalisme. Même si parfois le jeu des acteurs laisse à désirer, ce qui finalement renforce encore plus le sentiment de concret, ils sont très attachants et ont une certaine profondeur dans la maladie qu'ils incarnent. Le film cerne la maladie, du bout à l'autre, de la contamination à la victoire finale de cette dernière sur un corps qu'elle a rongé et érodé. Ce jeu de celui qui se révèle être le personnage principal Nahuel Perez Biscayart est celui qui surplombe radicalement les autres parce que s'il commence par irriter le spectateur, il finit par le séduire et le détruire émotionnellement. Il passe d'une certaine beauté à une effroyable laideur que la maladie lui inflige. Il a une gueule absolument inimitable, une voix très douce et une capacité de jeu réellement étonnante qui prend au cœur. Arnaud Valois et Adèle Haenel jouent également de manière très honorable, et Antoine Reinartz réussit l'exploit exaspérer et de dégoûter le spectateur. Le film est très lumineux au début pour peu à peu s'obscurcir au niveau de la lumière utilisée, laissant comme simples moments d'espoir les moments d'Assemblée Générale. Peu à peu, le corps malade de Sean se détache et se rebelle presque malgré lui contre Act Up elle-même, ce qui rend le film encore plus puissant. Le film aurait pu se contenter d'être émouvant, mais il va plus loin en nous écœurant même, notamment dans les dernières scènes avec les cendres de Sean, des méthodes plus qu'utilitaristes de l'association qui dans son cri désespérant cache un désespoir empli d'aveuglement. Act Up est une bataille sur une maladie absolument atroce qui s'est fait l'anticorps involontaire d'une morale déjà répressive. A la fin, il reste une sensation de malaise, constellée de cadavres, une volonté d'oublier, de ne plus jamais voir le film et de s'enfuir loin. L'insupportable entraîne la lâcheté.