Ca commence comme un film de Roy Anderson, accentuation géométrique des plans, couloirs vert délavé, silhouettes zombiesques filmées de dos errant d’un point à un autre… Seulement voilà, ceci n’est pas un film mais la réalité et quelle réalité ! Celle qui avait déjà inspiré le réalisateur en 1980 avec son « San Clemente » plus onirique de part le lieu (vieux monastère dans la lagune de Venise) et l’même approche de la folie qu’il en livrait à l’époque.
« 12 jours » se veut beaucoup ingrat, puisqu’il est le reflet des conséquences de la loi du 27/09/2013, censée assouplir les conditions du placement psychiatrique sans consentement. Le juge des libertés de la détention peut décider, sur avis médical, et après cette période de 12 jours d’observation, de la mise en place d’un programme de soins (ambulatoires, à domicile…) ou confirmer l’hospitalisation complète pensant six mois à l’issue de laquelle, le patient pourra procéder à une nouvelle saisine.
Raymond Depardon, nous présente donc 10 patients en attente de décision. Accompagnés de leur avocat (commis d’office le plus souvent) ils font face à un juge qui détient la clé d’une liberté. Le réalisateur respecte un certain équilibre narratif général. Chaque strate de la folie (de la dépression profonde au délire paranoïaque aigu) est abordée. Il filme également plusieurs juges ce qui permet, malgré des approches différentes de constater généralement un certain humanisme, ou pour le moins de la compassion. Car comment résister à la détresse de ces personnes en souffrance dont les traitements terminent de troubler la cohérence de leur être ? Tous ont des comportements bien spécifiques et chaque entretien est une véritable déchirure. On aimerait entendre le juge prononcer une sentence allant vers un programme de soins (donc une remise en liberté), mais leur fragilité trop visible, quelque soit les comportements fait que cela semble impossible.
C’est d’ailleurs dans ce sens, que Depardon installe la scénographie de son documentaire. Plus l’on avance dans les comparutions, plus on découvre que le lieu est à dimension humaine. On passe de plans sur les clôtures, les hauts murs, les liens à des plans plus apaisés pour l’un ses souvenirs d’Ibiza en cartes postales, pour l’autre les jardins… Certes cela reste un lieu de détention, mais à l’intérieur toutes les portes sont ouvertes, les protections se justifient uniquement pour préserver les patients d’eux-mêmes. Car malgré cette possibilité qu’on leur donne, ces derniers ont peu d’espoir de sortir à bout des 12 jours, voire après les 6 premiers mois. Tout ce qu’ils peuvent espérer, ce sont des sorties de 48h tout au plus…
Ce qui est bouleversant dans « 12 jours », est le regard qu’apporte Depardon sur ces femmes et ces hommes, comme à son habitude il sait saisir l’instant, celui de l’émotion, celui du partage de cette douleur. Malgré cette procédure très judiciaire, il rappelle que ces personnes détresse sont victimes de leurs troubles psychiatriques. L’un des patients ne manque d’ailleurs pas de le rappeler dans une scène qui impose un malaise général.
Il est par contre dommage que Raymond Depardon ne soit pas allé plus loin dans ses réflexions sur la loi de 2013 qui prévoit notamment pour les patients dits « difficiles » le même dispositif de sortie (avant il s’agissait de deux juridictions différentes). Un cas laisse à penser cela (agression à l’arme blanche) mais cela n’est pas signifié. La distinction aurait du être faite car elle est nettement plus impactante sur la sécurité d’autrui. De même dans cette « jeune » loi, est prévu que les députés et sénateurs ont la possibilité de visiter à tout moment tel ou tel établissement. Il aurait été intéressant de savoir ce que les chambres ont prévu pour estimer le bon fonctionnement du système (commission ad hoc, groupe de visite…). Il s’agit là d’une vraie responsabilité pour l’état.
Peut-être s’agit-il d’un autre débat, ou pourquoi pas d’un autre doc… Il n’empêche toutefois, que « 12 jours » est un documentaire plein de force, troublant et particulièrement efficace.