12 jours, un film que j'ai raté à sa sortie et que je ne vois que maintenant, est sans doute, avec du recul, l'un des meilleurs films de 2017. Depardon revient à l'hôpital psychiatrique, trente ans après Urgences, pour filmer cette fois des gens présentés devant le juge pour savoir si celui-ci autorise l'hospitalisation sous contrainte.
Comme à son habitude le dispositif est très sobre, sobre mais soigné, Depardon est photographe et ça se voit à chacun de ses plans. On n'a pas à ici un documentaire qui se la joue reportage d'investigation et qui bouge sa caméra dans tous les sens. Ici c'est très calme, ce qui permet au spectateur de se familiariser avec les personnes, de comprendre d'où ils viennent, quel est leur problème... de les humaniser en quelque sorte, qu'ils ne soient pas juste vus comme des fous par les spectateurs.
Forcément le film est touchant puisqu'il montre des vrais gens, des gens qui souffrent, des gens qui ont envie de sortir, des gens qui font tout parfois pour avoir l'air le plus normal possible pour pouvoir sortir, ce qui ne suffit jamais... Dans le film on ne verra jamais un juge refuser l'autorisation aux médecins de poursuivre l'hospitalisation sous contrainte. Les malades rêvent de liberté (ou d'en finir), mais systématiquement la réalité de leur condition mentale revient.
C'est ça qui est réellement tragique. On les voit, on voit qu'ils ont un problème, les propos sont incohérents, on sent leur nervosité... On comprend qu'ils ne peuvent pas sortir, mais en même temps on voit aussi l'hôpital que Depardon filme entre chaque entrevue avec le juge. On se rend donc compte du caractère oppressant du lieu qui peut-être n'arrange rien à leur état. C'est particulièrement triste de voir un malade faire des aller-retour comme un chien en cage dans une minuscule cour pendant plusieurs minutes.
On a des témoignages de ce que ça fait que se faire maintenir de force, de se faire attacher... (contre son gré bien entendu)
Les situations sont toutes différentes, certaines sont plus extrêmes que d'autres. On se retrouve quand même avec un type qui a tué son père, qui dit que ce dernier a été béatifié, que lui-même fait partie d'une trinité avec son père et sa mère... Mais il y a également un type qui croit que son voisin fait partie d'une secte musulmane et qui se retrouve à voler une kalachnikov dans une cave pour la mettre au-dessus de son armoire... On a un vieux monsieur qui entend d'autres voix que celles du juge... On a un immigré angolais qui a poignardé de treize coups de couteaux une femme il y a huit ans...
Et Depardon prend à chaque fois le temps de nous montrer ces gens là, il ne les juge pas, on voit l'absurdité de la situation... Forcément qu'on a envie qu'ils s'en sortent, mais techniquement on voit bien que ça ne va pas...
Jamais impudique, Depardon nous montre une réalité que l'on n'imaginait pas...
Cependant je repars avec une question sur le dispositif, au début il est dit que le noms ont tous été modifiés ainsi que les lieux. Comment ils ont fait ? car on voit clairement le juge demander d'où ils viennent, certains donnent leur lieu de naissance, font des blagues dessus. Je vois mal Depardon embrouiller les malades en leur demandant de répondre autre chose juste pour la caméra.
Bref un film fort, comme d'habitude chez Depardon, qui filme les gens sans mépris, sans supériorité et avec beaucoup d'humanité. Et il pose une question essentielle, comment on fait pour sortir de là ? Quelle vie on réserve à ces gens ? Que peut-on faire de plus ? Est-il possible de faire plus ?