J’arrive carrément après la bataille, « 12 Years a Slave » ayant eu en 2014 un joli succès public et critique, ainsi qu’une pluie de récompenses, qui avaient permis au grand public de découvrir le travail de Steve McQueen. Mais il faut dire que le film ne m’attirait pas vraiment, car j’avais peur qu’il enfonce des portes ouvertes dans un académisme ronflant (« l’esclavage, c’est mal »). Il m’aura donc fallu 7 ans et la vision des autres œuvres de McQueen pour me motiver à enfin le découvrir…
On s’intéresse à l’histoire vraie de Solomon Northup, un afro-américain libre et respecté, qui vit paisiblement en famille dans l’état de New-York en 1841. Jusqu’à ce que deux escrocs le kidnappent et le vendent à des trafiquants d’esclaves, qui l’expédient dans le Sud. Solomon comprend alors vite que clamer sa liberté ou ses compétences ne lui apportera que des problèmes, et qu’il doit se résoudre à faire profil bas pour survivre dans le Sud esclavagiste...
Une terrible expérience, qui permet à Steve McQueen de nous livrer d’une part, une vision presque documentaire de la traite des esclaves. On y verra, dans le sang et les larmes, ces individus traités comme pire que du bétail par des maîtres généralement peu scrupuleux. A ce niveau, à part Brad Pitt (ici producteur) qui s’est donné un court « beau rôle », et Benedict Cumberbatch qui incarne un propriétaire compatissant, le film déploie une galerie d’acteurs blancs qui se sont lâchés pour jouer les crapules à l'accent sudiste !
Paul Giamatti en revendeur sans scrupule, Paul Dano en contremaître tout simplement méchant, ou surtout Michael Fassbender en propriétaire cruel et instable, qui fait froid dans le dos à chaque apparition. Une évocation de l‘enfer esclavagiste qui évoque ainsi un peu le « Django Unchained » de Tarantino, en plus sérieux et moins baroque, et surtout le « Mandingo » de Richard Fleischer, l’aspect racoleur en moins.
D’autre part, « 12 Years a Slave » est un drame sur un homme qui débarque dans un univers brutal, auquel tout le monde est convaincu qu’il doit appartenir, alors qu’il n’a pourtant rien à y faire. Il va donc devoir « encaisser » et s’adapter pour survivre, dans la douleur d’avoir perdu les siens, et la crainte que son secret soit révélé. Chiwetel Ejiofor est poignant à souhait dans la peau de ce protagoniste, dont on sent que derrière chaque action ou réponse, se déroule une hésitation sur le choix à adopter. A ce niveau, Solomon apparait en permanence en décalage avec les autres esclaves, nés dans la soumission, et par conséquent mentalement écrasés depuis.
Il aurait été facile de tomber dans le pathos gratuit et l’enfonçage de porte ouverte, le scénario victimisant régulièrement Solomon devant les « méchants » blancs. Heureusement, Steve McQueen manie son sujet avec adresse, loin de l’académisme redouté. Il exploite la force de son protagoniste, et livre un film maîtrisé de bout en bout.
Une magnifique photographie, montrant les paysages du Sud ou des séquences d’intérieur ombragées et inquiétantes. Un maniement très adroit de l’ellipse (plusieurs mois voire années s’écoulent parfois entre deux plans, sans que cela ne gêne le spectateur). De longs plans, voire plans séquences, souvent difficiles car évoquant avec vivacité la traite des Noirs (dont des séances de fouettage très violentes).
En résulte une œuvre qui vaut le détour, et fera sans doute référence parmi les films sur l’esclavagisme américain.