En seulement 3 films et autant de réussites indiscutables, l’anglais Steve McQueen aurait déjà presque fait oublier qu’il partageait son patronyme avec une légende Hollywoodienne. Plus sérieusement, il dépasse aujourd’hui largement le statut de talent prometteur, et s’impose naturellement comme une des grandes figures des réalisateurs contemporains, de ceux qui comptent de par leur singularité, l’excellence et la constance de leur cinéma. Si le style de 12 Years a Slave apparaît plus académique que le phénoménal Hunger et le brûlant Shame, son identité est tout aussi affirmée et s’applique parfaitement à l’effroyable destin de Solomon, symbole de la souffrance et de l’injustice vécues par tout un peuple. Le cinéma de McQueen est brutal, confronte le spectateur à la violence des corps et des âmes sans ménagement. Il n’hésite pas à montrer l’horreur de l’esclavagisme, les coups, la torture, mais jamais avec complaisance. Comme dans ces précédents films, le traitement est presque clinique. Sa caméra est souvent immobile, imposant de longs plans séquences où les acteurs évoluent dans un cadre fixe. Cette mise en scène caractéristique du cinéma de McQueen rend le propos très réaliste, et du coup très puissant. Mais difficile de lui reprocher de ne rien vouloir adoucir, cette violence à l’image n’est que le reflet de celle endurée par le peuple noir réduit en esclavage.
Rarement (jamais ?), un long métrage n’avait traité le sujet aussi frontalement. S’il inspire de plus en plus le cinéma américain qui semble enfin vouloir regarder ce pan de son histoire en face (on pense à Lincoln, Django Unchained ou même la Couleur des sentiments), c’est la première fois qu’un film se place littéralement du côté des esclaves, et rend compte du drame humain et de l’abomination de leur condition.
Ce réalisme ne signifie pas pour autant le refus de tout esthétisme. Au contraire, les magnifiques tableaux qu’offre la réalisation de McQueen et les eclairs de grâce qui le parcourent rendent les espaces du sud des Etats-Unis d’une beauté d’autant plus cruelle. S’y affronte une galerie de personnages remarquablement bien construits, plus complexes qu’ils n’y paraissent, et interprétés magistralement. Fassbender, répugnant et fiévreux, livre une performance magistrale et on se souviendra longtemps du regard habité de Chiwetel Ejiofor (on passera sur la performance de Paul Dano, encore une fois insupportable dans le surjeu).
Découvrir 12 Years a Slave n’a rien d’une expérience confortable. Le film est incroyablement dur, certaines scènes sont parfois insoutenables, mais heurter les consciences et donner une légitimité au devoir de mémoire est à ce prix. 12 Years a Slave est d’autant plus admirable qu’il n’oublie pas d’être un grand film de cinéma.
Indispensable.