Les notes très éparses sont compréhensibles : il est clairement plus aisé de déclarer aimer un Kubrick qu'un film d'amour sur les adolescents. "14 ans, premier amour" n'a pas une once de méchanceté en lui, même si les bad boys ici ne sont pas édulcorés. Sans spoiler, la fin n'a rien à voir avec un quelconque climax tendu, c'est pour le moment le seul long-métrage d'amour que j'ai vu avec une fin aussi... apaisée et solennelle à la fois. Du coup, forcément, je comprends complètement qu'un film empreint d'une telle pureté (d'autant plus inhabituelle qu'il est d'origine Russe), ça peut laisser de marbre total quand on n'embarque pas. Mais pour ma part, j'ai été séduit. J'ai le sentiment qu'un film m'a dragué pendant 1 h 30, m'a emmené au restaurant, m'a réchauffé mon cœur de jeune adulte freiné par une pandémie et m'a ramené mon cœur de jeune lycéen avide d'amour.
J'ai été séduit par ce caractère pur, où aucune dramatisation inutile ne vient polluer ces regards qui en disent réellement long, ces silences porteurs de passion, ces observations réciproques qui n'ont nul besoin d'artificialité typique du genre. "14 ans, premier amour" n'a pas peur de ne pas réussir à émouvoir, le réalisateur n'y pensait visiblement pas, et souhaitait avant tout retranscrire un portrait très juste sur la naissance de l'amour chez les adolescents. L'émotion vient d'elle-même.
J'ai été séduit par sa grâce, comparable à une danseuse s'exécutant au-milieu d'une route abandonnée. Lorsqu'Alex observe Vika, toujours de profil, dont les yeux sont cachés par des lunettes de soleil ; la séquence en moto, avec Vika qui échange un regard communicant avec un couple dans un bus ; la séquence du premier baiser surtout, j'avais pas été tenu en haleine comme ça depuis longtemps ; la danse, foirée en soirée, et répétée dans un contexte beaucoup plus intime et sensuel sur fond de cassette ; la fin du coup... Des séquences qui échappent au temps. Leurs points communs, c'est que Zaystev semble indiquer à travers eux que, même au sein d'une génération ultra connectée les uns aux autres et de plus en plus incorporée à la solitude numérique, la vraie racine de l'amour pousse loin des autres, juste à deux. Ma sensibilité a fondu pour ce portrait qui n'est jamais juge sur cette décennie, même s'il n'a pas du tout vocation à pardonner ses frasques, et qui veut plutôt s'attendrir sur la révélation des sentiments, que les protagonistes apprennent à recevoir et non à comprendre. Zaystev a tout compris à l'amour et à l'adolescence : c'est extrêmement rare.
J'ai été séduit par ce couple. Ulyana Vaskovich : j'en conjure les cinéastes Russes de pas la laisser partir, comme nous les Français on avait laissé partir Ariel Besse ("Beau-Père"). Son regard, extrêmement puissant, captive pour ses émotions contenues et sa pudeur révélée, intensifie une prestation semblable à un incendie irrésistible. C'est le genre de filles pour lequel beaucoup d'hommes pourraient traverser le monde (chercher des perles de pluie là où y'en a pas, tout le tatouin), et c'est donc le Alex qui a droit à cette chance. Mais lui aussi est extrêmement attachant, cet amour n'est pas volé, ni même forcé, ce qui est là encore très différent de la plupart des films d'amour adolescents. Je m'exprime en tant qu'hétéro, mais je pense que pour Mesdames, Gleb Kalyuzhny (plus compliqué à prononcer celui-là) saura vous charmer pour les mêmes raisons que la fille. Ce qui fait que, malgré leurs différences, c'est leurs silences qui les rassemblent davantage que leurs dialogues. Ce qui fait que ce qui est ressenti, donc la Vérité, passe avant ce qui est transmis, donc forcément un peu factuel. Tout ça avec une subtilité unique et une réelle empathie totale pour les personnages, dont l'alchimie évolutive ne semble jamais être faussée. Big up également, bien entendu, au personnage admirable de la mère, qui voit son enfant devenir un homme ; l'intensité de son regard est d'ailleurs similaire à celui de Vika...
J'ai été séduit par cette mise en scène. La BO, internationale, est totalement adaptée malgré son caractère-contraste rétro. "Creep" de Radiohead par exemple, j'aime pas des masses (surtout en comparant à ce qu'ils ont fait après), mais le film a réussi à l'utiliser de manière à ce que je grince pas. "Je t'aime moi non plus" de Gainsbourg, et les chansons Russes franchement très cool (surtout pour la séquence de la danse reconstituée, pure magie), sont toutes des apports à un travail très personnel par le réalisateur. Son directeur photo a, quant à lui, réussi à contrebalancer les diverses ambiances lumineuses, et si j'aurais aimé qu'en présence des antagonistes la lumière soit bien plus crade, son image ne tombe jamais dans la niaiserie, même lorsque le propos devient délicat. Le boulot ne devait pas être simple, puisque certaines séquences devaient beaucoup s'apparenter à des clips, mais sans les évoquer franchement.. Mais le pari est tenu haut la main. L'équipe technique fait partie intégrante de l'espèce de fraicheur miraculeuse qui porte ce film comme un appel à aimer, envers et contre tout, sans chercher à savoir pourquoi ou comment. Et tout ça sans aucune naïveté.
Je suis retombé amoureux pendant 1 h 30. Je n'ai, au bout du compte, que cet argument pour résumer toute mon extrême sympathie pour ce film. Et c'est immense.
Ce film m'a vraiment offert un rendez-vous, et je lui ai proposé que l'on se revoie. Peut-être que ce ne sera plus comme la première fois, peut-être qu'il ne se passera rien après ce visionnage comme il ne s'est rien passé pour moi à la fin de la première projection. Mais je sais que je ne demanderai rien d'autre qu'avoir ma tête posée, écouter et voir ses personnages vivre et s'aimer, et sentir mon cœur de lycéen revenir se servir d'une liqueur de cerise.