Sam Mendes remplit les promesses attendues de son film, à savoir un long-métrage spectaculaire, taillé pour le grand écran et le grandiose, alignant les plans époustouflants et les astuces techniques. Les plans séquences successifs offrent une manière originale de montrer la guerre, à l’échelle d’homme, sans coupure. Le point de vue notamment sur les paysages traversés, que ce soit la tranchée ou la campagne, renforce le caractère immersif, car nous suivons la temporalité des personnages, ne coupant aucun pas, aucun écart. De même, malgré son parti-pris original, les quelques ellipses temporelles permettent au film de conserver de bout en bout un bon rythme, alternant tensions et relâches. On est très clairement dans du divertissement et cela fonctionne, on est vraiment pris dans l’histoire.
Mais c’est également le piège de 1917 : à force de trop se concentrer sur la technique, le réalisateur comme le spectateur délaisse le scénario. Le film sacrifie parfois son intrigue pour la beauté du plan. On peut ainsi lui reprocher une succession d’épreuves et d’émotions un peu trop calibrés, un peu trop bien huilés. C’est le cas du plan bien téléphoné de la française et du lait, ou celui de la cascade, qui répondent plus à un impératif technique et de rythmique qu’à un vrai sens. Sur ce dernier point, le gestion du temps est entièrement prisonnière du parti-pris artistique et Sam Mendes doit recourir à des moyens un peu grossiers pour des ellipses (perte de conscience plus ou moins crédibles). La musique de Thomas Newman ne fait non plus dans la dentelle. C’est clairement un bonne OST pour ce type de film, mais c’est également très didactique sur chaque atmosphère et chaque émotion à ressentir.
Je reproche également le manichéisme du scénario, avec une armée anglaise bien trop propre sur elle-même : il est un peu facile de reprocher la politique de la terre brulée aux allemands, qui n'en étaient pas exclusifs, et il est surprenant que tous les officiers soient si compréhensifs. Je déplore l’absence de profondeur et de complexité dans ces personnages, à l’instar des Sentiers de la gloire, ou même d’Un long dimanche de fiançailles.
Mais malgré ces points négatifs, j’ai également été très touchée par la scène de soldat chantant que j’ai trouvé juste (avec pour une fois une quasi absence de musique de fond, qui fait du bien), et époustouflée comme tout le monde par la traversée du village la nuit à la lueur des fusées éclairantes, ou même ce plan de traversée de champ de bataille. Par ailleurs, j’ai trouvé les acteurs très bons, notamment George MacKay, qui trouve enfin un premier rôle retentissant — sa palette d’expression est juste dingue, et au moins c’est un acteur avec une « gueule », moins interchangeable que d’autres.
1917 n’est pas un film parfait, il sacrifie beaucoup à son parti-pris artistique et technique, et à ses gros sabots hollywoodiens. Mais c’est resté un très bon moment sur grand écran, et c’est aussi pour ça qu’on va au cinéma, pour être émerveillé.