Il y a quelque chose de magnifique dans la manière que 1917 a de faire cohabiter la beauté et l'horreur. Il est fréquent que le film de Sam Mendes suspende la tension pendant quelques minutes de respiration aussi salvatrice qu'inattendue. Le moyen de lever les armes un moment, oublier la mort qui environne un instant, et redécouvrir la félicité d'un échange, d'une rencontre ou de la contemplation.
Des parenthèses que le long-métrage dissémine ça et là, l'air de rien. Pour reposer ses héros, son dispositif (un film de guerre en un seul (faux) plan-séquence). C'est vrai qu'à l'annonce du projet, l'odyssée guerrière d'une seule traite laissait craindre le film-concept qui ne voit pas plus loin que la prouesse technique. Sans occulter la redondance après les uppercuts assénés à coups de tracking shot époustouflants par Alfonso Cuarón (Les Fils de l'Homme, Gravity), Alejandro González Iñárritu (Birdman, The Revenant).
Soyez-donc rassuré, 1917 est virtuose mais jamais tape-à-l'œil. Très intelligemment, le film évoque le Dunkirk de C. Nolan dans sa manière d'étirer/compresser le temps. C'est d'autant plus efficace que le concept sous-tend le temps réel, hors le film condense 24h en 2h. Sa plus grande force, elle se niche finalement dans les minutes les moins démonstratives, quand les personnages ralentissent la cadence. Mais ce serait mentir de ne pas mentionner certains passages très forts (dans les tranchées abandonnées, dans les ruines d'Écoust en pleine nuit). Pour assurer que l'expérience soufflerait le public, Sam Mendes s'est de nouveau adjoint les services du magicien de la photo Roger Deakins (Skyfall, c'était déjà lui) et de son compositeur phare Thomas Newman. Le premier n'a pas son pareil pour offrir une multitude d'images saisissantes (les séquences nocturnes semblent tout droit sorties de cauchemars) et le second accompagnent ce voyage au bout de l'enfer avec des compositions rappelant les envolées asphyxiantes/ruptures mélancoliques du survival spatial de Cuarón.
Puis évidemment, la réussite est à mettre au crédit de ses interprètes. Quelques comédiens chevronnés (Colin Firth, Mark Strong, Bennedict Cumberbatch) font leur apparition, mais tout le film repose avant tout sur deux nouveaux visages, George MacKay (grosse révélation) et Dean-Charles Chapman. Ils s'en sortent à merveille et il y a fort à parier que les deux acteurs deviendront familiers pour les spectateurs d'ici peu. Je retiendrai également les apparitions d'Andrew Scott et de Richard Madden, très réussies.
S'il ne parvient pas à acquérir le statut d'œuvre ultime sur le genre, cela provient des limites posées par le cinéaste avec 1917, à savoir la linéarité. Le rythme accuse plusieurs longueurs et sa structure devient assez redondante à mesure qu'on avance. De même, lors des moments les plus oppressants, le film n'atteint pas la tension au cordeau du Dunkirk de Nolan (sous tension pendant 1h45). Bien entendu, ces failles n'empêchent pas le long-métrage d'être terriblement immersif et formellement superbe (un sans-faute pour la direction artistique). Il offre d'un seul mouvement une haletante plongée en zone hostile doublée d'un hommage poignant à ces hommes qui virent l'enfer d'assez près pour mesurer la beauté qu'ils chérissaient. Et rien que pour ses moments où Mendes l'a fait rentrer dans les tranchées, 1917 vaut le détour.