En nous comptant l'histoire de deux soldats dont la mission est de parcourir 15 kilomètres à pied pour empêcher un massacre, Sam Mendes revient avec un film ou la caméra se fait virtuose. Son choix de ne dérouler qu'un ersatz de plans séquences peut porter à débat mais il faut avouer que le procédé nous plonge dès les premières secondes dans cette guerre et cette randonnée désespérée grâce à ce parti pris de ne jamais s'éloigner de nos deux amis. La première image n'est qu'un repos éloigné du front, face à un champ, et on découvre, à mesure qu'ils s'enfoncent dans les tranchées, ce contexte historique qui se déploie autour d'eux. Détachés de tout, calme avant la tempête, ils s'inscrivent progressivement dans le contexte qui les entoure. C'est cette introduction qui m'a réellement bluffée, me rappelant à quel point la maîtrise de ce plan si complexe du cinéma, lorsqu'il est utilisé avec justesse, peut véritablement nous subjuguer et nous épargner de longs discours.
Bien sûr, à mesure que nos deux soldats arpentent ce chemin de croix, on finit irrémédiablement par se dire que quelque chose cloche. Un si long plan séquence parait d'abord impossible et le devient tout simplement quand l'orchestration de l'action s'avère bien trop démesurée pour être l'oeuvre d'un seul homme. Le numérique s'est invité dans le film sans qu'on y prenne gare et on se demande si Sam Mendes ne nous aurait pas un peu trompé. Est ce qu'un film présenté comme un unique plan séquence alors que ce n'en est pas un mérite autant d'honneurs ? Mais finalement, note-t-on la technique ou le ressenti ? S'est-on insurgé jusque là que la prouesse technique et l'évolution des effets spéciaux soient des mensonges ?
Pas vraiment en fait. On pourrait être déçu par le fait que la technique soit un cache-misère mais lorsque celle-ci se met au service du fond, y a t'il vraiment débat ?
Parce que question ressenti, 1917 est juste dans son intégralité. Cette fuite en avant, cette traversée nous offre un patchwork morbide et désenchanté à travers les yeux des soldats Schofield et Blake. Grâce à ce mouvement perpétuel qui évoque tout autant le danger permanent que la limite physique de leur champ de vision, on se retrouve pris au piège de leurs émotions et de leurs découvertes. On est plongé dans ce conflit sans jamais décoller de leur perspective et pourtant, par les rencontres qui jalonnent leur marche, on finit par avoir une vision presque complète de l'horreur, de la peur, de la tristesse, de la résignation et du désespoir, voir de l'humanité et de l'espoir parfois qui essayent de se frayer un chemin et de subsister derrière la lueur d'une bougie. Même s'il est techniquement falsifié, sans jamais prendre le parti de crier haut et fort ce que nous savons tous déjà, à savoir que la guerre, c'est pas beau, 1917 montre ses conséquences immédiates sans jamais détourner les yeux.
Sam Mendes ne filme pas de héros mais des hommes dans une situation héroïque et son point de vue, mis sur la table pendant une discussion entre les deux amis sur l'importance ou non d'une médaille, trouve sa réponse dans les dernières minutes, lorsque le serpent réussi enfin a atteindre le bout de sa queue, le dos contre le tronc d'un arbre.
1917 exprime ainsi dans sa conclusion toute l'absurdité d'un périple qui s'achève visuellement comme il avait commencé. De son postulat de départ prêt à verser dans le sens du devoir et l'acte héroïque allant bien au delà de ses personnages, ne reste qu'un point de vue à hauteur d'homme. Sam Mendes signe un film de guerre désespéré, parfois magnifique dans l'horreur, toujours prenant et immersif, sans jamais vouloir le faire exister au delà de la portée des sens de ces deux soldats.
Ce film m'a laissé quelques jours dans l'indécision. 8. 7 ? 8 ? 7...
8 finalement me paraît juste.