La promenade métaphysique de l'espace
3 notes sur "2001, L'odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick.
( Léger spoil possible si l'on considère qu'il y a une intrigue, attention)
-Au final, 2001... s'est avéré être un film assez frustrant sur le fond pour ma part, paradoxalement trop et pas assez évasif.
Ou plus simplement, ce qui m'a gêné c'est dans un premier temps que le film soit plus un matériau (sublime) de base à interpréter qu'une histoire riche en messages et complexe (artificiellement ou non) que l'on comprend après plusieurs visionnages, ou en cherchant par ci par là des explications. Alors certes ça fait réfléchir, cela permet une interprétation personnelle, mais il y a toujours la possibilité que le film n'ait pas de propos défini, et que le fond de l'oeuvre soit juste fabriqué de toutes pièces par le spectateur un peu trop enthousiaste.
Même si on peut, en fait, et sans grand risque de sur-interprétation, dégager la plupart des thématiques de l'oeuvre dont l'évolution de l'humanité et son rapport à la technologie.
Seul le dernier acte est plutôt flou, mais même sans comprendre les détails (est-il placé dans une construction symbolique ou dans un lieu inconnu ?) on peut légitimement penser qu'il ne s'agit que d'une confrontation entre l'homme et sa mort, puisqu'il a tué son «outil» [considérons que l'homme est né lorsqu'il a commencé à utiliser l'os, lequel a permis à l'homininé d'améliorer sa condition en lui permettant de chasser et tuer plus facilement... et donc une fois la faim et les conflits permanents éliminés, d'évoluer tout en faisant évoluer en parallèle ses outils...jusqu'à la conquête de l'espace 4 millions d'années plus tard (rappelons que le film est fortement lié à son contexte historique)]. Or dans l'espace l'homme est non seulement dans un environnement qu'il ne connaît pas, qu'il ne maîtrise pas (cf les difficultés liées à la pesanteur), et l'outil (l'ordinateur disposant d'une intelligence artificielle) est devenu plus important que lui et sa survie en dépend...
Dans une optique moins allégorique, on peut penser qu'une puissance supérieure à l'origine du monolithe accélère le vieillissement de Dave pour permettre sa réincarnation (mais en quoi ?).
Au final, on peut bien supposer une certaine profondeur thématique voulue par Kubrick, mais non seulement ces thèmes sont peu nombreux (et très distancés, rien qui ne puisse vraiment toucher l'individualité du spectateur), mais aussi très peu abordés dans le film lui-même. On ne dispose au mieux que de pistes de réflexion volontaires mais implicites. Voilà pourquoi le film est pour moi trop évasif, mais sans l'être totalement. Il ne dit pas assez, mais on est pas sûr qu'il aurait grand chose à dire, surtout proportionnellement à sa longueur. On arrive au deuxième point ;
- On peut se demander si le cinéma est bien le lieu pour véhiculer des messages abstraits et philosophiques d'une façon aussi indirecte, via des éléments de mise en scène, des détails en fait importants, des métaphores ou des situations aussi absconses. Ce film est un très bon exemple et je pense qu'on peut objectivement dire qu'il est trop lent, voire pas vraiment intéressant par moment. Je sais pas vous mais voir des singes crier et frapper des squelettes pendant 20 minutes je trouve pas ça particulièrement passionnant, peu importe si leur comportement reflète la nature humaine (la violence, l'esprit guerrier etc...). La deuxième partie peut être intéressante à analyser et permet une seconde rencontre entre l'homme et le monolithe, mais le problème c'est que le contenu narratif est anecdotique. Dans la même idée, on ne sait rien des personnages et leur psychologie est délaissée (étrange concernant Kubrick). Après il y a juste des passages trop lents, et l'absence de gravité n'est pas une excuse... Sans parler du trip psychédélique pur de 10 minutes, facilement. A moins d'y aller en mode hardcore cinéphile (ou de se droguer) je vois mal comment on peut ne pas trouver plusieurs séquences trop lentes. Après faut-il juger un film isolé de tout élément externe (influence et caractère novateur, essais philosophiques, paratexte/interviews/analyses aidant à la compréhension), je ne sais pas. Reste que si c'est le cas, non seulement 2001... laisse un peu perplexe quant à son propos après visionnage, mais en plus il est difficilement captivant à cause de ses lenteurs superflues, ne servant même plus l'ambiance. Conceptuellement, 2001... est ambitieux et admirable, mais en pratique le tour de force est surtout formel (bien que le 3e acte introduise une légère tension).
- Car 2001... est un film remarquable au moins pour sa réalisation, et plus globalement pour son ambiance qui à elle seule saurait presque lui conférer une certaine transcendance. Globalement l'esthétique du film est irréprochable ; et si parfois on baille un peu, on peut toujours se consoler en admirant la photographie. Quant aux effets spéciaux ils ne sont pas ridicules après 40 ans, et c'est une très bonne chose car le film conserve un caractère intemporel. Plus que la maîtrise technique de Kubrick qui distribue comme d'habitude d'excellents plans, c'est l'ambiance exceptionnelle qui fait de ce film une véritable expérience, un film «à part». Particulièrement, dans la 3e partie, où nous ressentons parfaitement l'isolement des astronautes dans le Discovery One avec HAL, et l'étirement relatif du temps dans l'espace (un peu trop d'ailleurs). On est pas toujours captivés, mais le film à au moins le mérite de nous garder immergés dans son ambiance. Impossible aussi de ne pas évoquer la bande son excellente et parfaitement adaptée. Mention spéciale pour ma part à Lux Aeterna de Ligeti, musique angoissante et puissante qui donne une dimension surréaliste aux scènes avec le monolithe. Et pourtant, c'est bel et bien le silence de l'espace qui est le principal artisan de cette ambiance, lui qui met d'ailleurs indirectement en valeur les respirations et les bruits électroniques ; ou encore la voix curieusement humaine de Hal, froide et rationnelle, mais peut-être aussi le seul vecteur d'émotion du film (enfin, ça c'est un autre problème inhérent à Kubrick ...!)
- Donc voilà, si vous avez lu ces 3 notes indigestes mais pas encore vu le film, je vous conseille quand même de le faire ! Même s'il n'est pour moi pas forcément aussi parfait et indispensable qu'on peut l'entendre dans les avis dithyrambiques, il vaut le coup en tant qu'expérience visuelle et sensorielle, et plus si affinités...