La musique s'élance, forte car sans images, d'abord chaotique, puis, unissant ce chaos. Les images arrivent ensuite, pour équilibrer, cette fois-ci avec un son beaucoup plus discret. Au fur et à mesure, le mélange se fera entre les deux. L'aurore s’élançant, la nuit, en cauchemar et rêve qu'elle fut et sera, s'éclipse.
Moi, petit spectateur bourgeois qui aime dire "moi", je suis perturbé... et Kubrick s'adapte à moi. Perdu, il me fait, par saccades fixes, rencontrer l'aurore, comme un mirage en cette contrée du confin : dors-t-on encore ? Quoi qu'il en soit : ainsi soit il.


Mais je m'écarte, déjà, encore. Je disais donc : il me fait envoler, par un premier mouvement de caméra, panoramique ascendant. Oui. Je ressens la crainte et le tremblement du silence, seule profond lien entre chacun. Ici, l'action et la parole sont là pour satisfaire le public tout en lui montrant l'absurde (aux chiottes les artistes qui mettent aux chiottes leurs spectateurs !).
Reprenons... (j'aime les reprises).
Reprenons ! (pardon)


Le premier jour de la création se passe ainsi déjà, encore. Ainsi, au crépuscule, l'angoisse est la même qu'à l'aurore. Moi, petit singe ridicule (car j'ose me croire un spectateur acteur), je m'intrigue.
Puis il y a un fondu au noir.
Déjà... Encore... C'est l'aurore. Reprenons donc le jour, comme nous l'avons cueilli hier (était-ce un autre jour ?). Quoi qu'il en soit, ainsi soit il. Direct et sans appel, brillant mais n'éclairant pas, le monolithe est déjà là. Drôle de bête divine que ce truc, jaillissant d'un miracle romantique, mathématique, pathétique. Désormais, la musique et l'image ne font qu'un. Le mystère, c'est l'union. Mais tout cela ne dure que l'instant d'une éternité, on veut s'en approcher, on veut le toucher : la vérité que l'on veut exprimer n'est pas la vérité. Et le magicien Kubrick l'a faite disparaître !


Et pourtant... et pourtant... ce héros d'un passage dont la durée ne saurait être mesuré, filmé en contre-plongée, n'était-ce pas...... LE héros. Mais cela ne reste pas entre nous, vous ne le dites qu'à vous-même, en vous même. Mais je m'égare.
La fragmentarité fut étalé, Kubrick sait l'art des miettes : mais, destructeur qu'il fut, il reconstruit désormais, de façon tout aussi approfondi. Désormais, le monolithe est mon centre, le seul personnage là du début à la fin. Par un jeu de reprises (et non pas de répétitions), Kubrick me refout alors en pleine gueule ce magnifique plan monolithique et moi, toujours singe absurde, nostalgique de ce rêve qui, je le sais, n'a jamais vraiment eut lieu si ce n'est dans mon espérance et ma foi (car j'ai osé avoir foi), je me souviens, je me remémore, prend un os, l'osculte des deux côtés, serre mes côtes à casser celle d'un "autre".
C'est donc cela le "progrès" : inutile donc éternel, par delà bien et mal.


Panoramique ascendant, enfin un grand mouvement, vif, mais, voilà, je (l'os) retombe, panoramique descendant, vaisseau. La musique encore, lié à l'image (continuité et variation de celle-ci) m'esquisse alors le Beau Danube Bleu, thème de cour sans personnalité et gardant pourtant une once d’ambiguïté (on a tous en nous quelque chose du monolithe).
Le voyage continu, jouant encore avec l'oubli, l'angoisse, l'absurde... l'infini. L'oeuvre a la prétention jeune, elle est un échange constant avec le spectateur, un nombrilisme qui au moins... à la témérité de se partager sans donner de fausses pistes mind-fuck.


Après avoir levé et descendu notre tête, on recule : travelling arrière soulignant une décompression pour le spectateur désaxé (un peu de nous tous). La parole, dans son pathétique profond, émerge comme une soupe sur un cheveux (remarquable par sa pudeur). Je ne vois point une tragédie, ni une comédie : notre rire est beaucoup plus enlacé de graveur et pourtant, en son centre, fin. La parole ne sert donc qu'avant tout à montrer le sens en prenant celui-ci en sens inverse (en effet, la parole est, de toute les expressions... la plus perverse et cochonne). Mais, en mon voyage au bout de l'infini, point de lourdeur dans celle-ci (bordel de cul de pompe à merde, cèksèpanonplu "2001 Mon Amour").
Et, comme eux, je parle parce que je n'ai rien à dire.
Drôle de tragédie.


Où en étais-je ? Oui. Je voulais souligner aussi en quoi la mathématicité du cadre, chez Kubrick, me semble profonde. Car oui, désormais, avec les vaisseaux, les plans symétriques vont être de plus en plus nombreux, me donnant ainsi une impression (paradoxale, heureusement) d'enfermement et de confort.
Prenons un exemple. Quand Floyd marche à travers le vaisseau avec son "ami", je ressens beaucoup de vide. En contraste, juste après, en continuité mais aussi alternance, Floyd se retrouve (non par le destin mais par lui-même) encadré par ses "amis" russes. Puis, dès que la conversation commence, par un cut soudain, la parole renfermant chacun par leur volonté de se libérer, Floyd se retrouve encore plus encerclé, avec nous nous rapprochant. Car oui, ici, la caméra n'est pas "a fly on the wall". Ici, le spectateur que je suis est impliqué, il a à choisir (ce sera sa façon d'être libre). Car oui, on ne nous impose pas le "camp" des russes, comme on pourrait le croire en se fixant sur le premier passage de la discussion. Non, bien vite, je me retrouve derrière Floyd, a choisir si ce plan veut pour moi dire que je suis avec lui ou, au contraire, que je veux "savoir la vérité", comme les "russes".
Ainsi, plus de camp, la guerre froide est balayée en quelques secondes, laissant une esquisse libre au spectateur de finir. Aux chiottes les films engagés !


Continuons. Cette oeuvre, j'ose y croire, commence à m'intriguer encore plus, car je m'y intrigue moi-même.
J'y ressens encore, comme je le ressentirais à travers tout mon chemin, mon angoisse (j'utilise même, à propos, le terme de "trac"). Celle-ci est étalé, rendant ainsi le spectateur acteur seulement conscient de son inconscience. Mais n'allons pas trop vite sur ce chemin, contemplons en encore d'autres avant de totalement nous perdre dans l'unique... nous perdre nous-même.
Que m'arrive-t-il ! Je dis "nous" ! Désolé, mon Ami, de t'impliquer de façon aussi rusé dans mon univers.


La fin est comme le début, un mythe car elle ne dure point, un monolithe, point.
Je continue donc ce voyage au bout (non pas de l'enfer ou du paradis, c'eut été facile et limité) de l'infini.
Maintenant, je me retrouve sur la Lune. Me retrouvant, je retrouve le monolithe, déjà, encore. Je suis impliqué, pour nuancer les plans fixes qui me laissent libre, par une caméra à l'épaule.
Qu'est ce donc que cet inconnu, songeur de reflet rêveur ?


Déjà, encore, le mystère est coupé. Kubrick, par l'attrait de mon attente, aiguise mon désir, sans catharsis lourde, mais, au contraire, en l'étalant. Me voilà donc dans une grande solitude, comme si le monolithe, perdu, avait au fond été mon seul ami et amour.


Quoi qu'il en soit, ainsi soit il. Comme auparavant avec Floyd et "les russes", je m'identifie encore au premier venu, ayant abandonné les derniers perdus. En contre plongée, je trouve, ainsi, désormais, Dave. La musique est plate, s'adapte à l'atmosphère, tout en semblant s'opposer à elle : en effet, "anachronisme" crieront les "spécialistes".
C'est dans la grande solitude qu'émerge la grande rencontre. En effet, je rencontre aussi un autre héros (car, dans ce voyage au bout de l'infini, tous le sont)... je rencontre Hal. Tandis que Dave tourne en rond, Hal ne tourne pas rond et préfère l'immobilité. Son bourdonnement fixe fait écho aux plans sur lui, tandis que Dave à le souffle variant, lui, le mouvement constant.
Au fur et à mesure de ce voyage, je le remarque par la nostalgie, il y a de moins en moins de personnages... comme si l'oeuvre était au fond une essentialisation : de la source torrentielle de l'Amazone, bien vite, Aguirre le sait, on arrive à la mer calme. Et la mer ne rougit point d'être calme.


Dave a un "ami", Frank. Frank se déplace moins que Dave. Il joue aux échecs avec Hal, avec qui il semble plus parler qu'à Dave. Dave, au contraire, échange avec Hal comme il échange avec Frank, dans un certain silence. Dave dessine. Hal l'interpelle, il veut du contact. Dave n'est pas fermé, mais, derrière, il médite. Il survit car il est celui qui s'adapte le mieux à la solitude et, non pas à sa tristesse, mais à sa mélancolie.
Tous savent tout, mais personne ne peut le dire. Soudain, une erreur, une erreur. Le conflit, sans marque de début ni de fin, s'élève dans un mystère, comme un mystère. Puis, apparemment, ce n'était rien. Le doute originelle se grave dans les visages simples et contradictoires des acteurs, dans la voix d'un Hal. Ainsi, il semble que tout (montage, réalisation, scénario, acteurs, son...) sert à exprimer une seule chose... inexprimable.


Dave et Frank se cache de Hal, dans un plan encore symétriquement magnifique. Tandis que Floyd, tout à l'heure, au centre, parlant, était encerclé... ici, c'est l'inverse : Hal, au centre, ne parlant pas, est le plus fort. Dans l'échange entre Dave et Frank, j'ai l'étrange et belle impression, qu'au fond, c'est Dave qui aime le plus sincèrement Hal, justement parce qu'il a ses distances avec lui. Hal le comprend aussi, c'est pourquoi c'est contre lui qu'il veut... le duel.


L'entracte passe, l'attente se marque encore.


Le voyage continue. Frank est éliminé du jeu. Dave, dans sa pitié pour celui-ci, s'en va le chercher, fait fausse route, se retrouve face à Hal. Kubrick, comme à son habitude, nous met des deux côtés, vaisseau mastodonte face à petite machine. Alternant les moyens pour un même but, il nous fait plonger (par des cuts mais aussi par des travellings). Tout cela me semble le signe de la noyade.
Dave, dans sa témérité raisonné, se lance dans le combat face à Hal, laisse sa pitié de côté. Mélangeant les registres subtilement, Kubrick me donne alors l'impression d'un film d'horreur, caméra à l'épaule, quand le méchant Dave s'en va sacrifier (car c'est bien un sacrifice et non un meurtre) le méchant Hal.


"On" dit que la légende dit que Pygmalion, amoureux de son oeuvre, par Dieu, l'a rendu vivante. Je rajoute que, le crépuscule venu : il l'a sacrifiée, pour la retrouver, en vertu de l'absurde.
Ici, Dave abandonne son oeuvre : la machine Hal. Faisant cela, il s'élimine lui aussi. Mais attention, il n'est point héros tragique frappé par le "destin" comme Frank, au contraire, Dave est celui qui sacrifie Frank et Hal pour lui-même, devenir le paysage.
"Prétentieux" crieront les éthiciens !


Mais alors, ainsi, désormais, maintenant, que reste-t-il ?
Floyd qu'on avait paumé réapparaît soudain, comme un simple écran, et nous explique de façon factuelle le mystère : dont "l'origine et le but reste un mystère total".
Ainsi, il ne reste qu'un paysage. La frontière entre le monolithe (le grand oeuvre de l'individu), et l'individu lui-même, oeuvrier du soleil, s'étant construit son étoile pour y voir son reflet et, en lui-même, se murmurer : "je suis beau"... cette frontière est abolie.


Car, donc, ici, le rythme en crescendo simple n'est qu'une lente réunion.
Ainsi, Kubrick esquisse désormais ses sfumatos sur ses planètes, conviant ainsi le registre du film noir dans ce chaos uni.
Malgré tout, je ne veux être satisfait que par ma propre oeuvre, c'est pourquoi je trouve ici le point que j'ai le moins aimé de 2001.
En effet, j'arrive désormais à ce (un peu trop) long passage psychédélique (celui après les magnifiques panoramiques ascendants prévoyant le final, tout coloré). En effet, celui-ci ne m'a pas évoqué grand chose. Ainsi, n'ayant réussi à me branler intellectuellement sur celui-ci, je complexe. Car oui, il me semble que ce passage ne vise qu'à cacher ce qui est caché, à donner l'impression que c'est "cela et rien d'autre" le "laisser aller des étoiles".
J'essayerais malgré tout, en vertu de l'absurde, de synthétiser mes rêveries sur celui-ci. Un plan qui m'a beaucoup intéressé est celui où le monolithe vient dans le champ en passant par nous (chose dure à expliquer), tout cela renforce la force "immanentielle" (lol) du film. En effet, ce n'est point le monolithe qui vient à moi, c'est moi qui y vais : il n'y a dans ce voyage point de transcendance.
Malgré tout ce grand gloubi boulga manquant légèrement d'union (bien que gardant, en plus d'une confusion angoissante, la logique), qui eut été splendide si il avait été plus court d'1 ou 2 minutes... malgré tout...
"Va, je ne te hais point, Kubrick... je te méprise par amour.".


Continuons donc dans la suite, lente et longue, qui aurait été plus valorisée si l'autre (qui aurait été du même coup elle aussi valorisée) avait été, en contraste, fulgurante.
Nous ralentissons alors avant le final, c'est le désert des tartares, Dave se remémore avant la fin (si il y en a une à l'infini). Il revit sa vie, l'instant d'une éternité, une vie de nostalgie, à voir son passé s'effacer à vouloir le rattraper.


Ainsi, le monolithe fut la mort, le début et la fin, qu'immortel, nous n'arrivons à atteindre.
Recommençons donc, étranger à nous même que nous sommes.
Réessayons l'infini.

Asendre
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le 22 oct. 2018

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Asendre

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