2001 est inaccessible, dans tous les sens du terme. Tout comme le sens de la vie nous est inaccessible. Mais quoi qu'on pense de ce film, il laisse tout sauf indifférent. Il peut endormir, il n'empêche qu'une fois réveillé on en parle assidument. J'ai un ami, fan de science-fiction, qui a carrément fait le ménage lors d'une scène qu'il trouvait vraiment trop chiante ; il n'empêche que presque à chaque fois que l'on discute cinéma, il revient sur ce film. Rien que cet effet rend cet OVNI fascinant. Et le fait qu'il n'est plus possible depuis sa sortie qu'un film SF puisse se faire sans que l’œuvre glisse des clins d’œil, ou que les critiques le compare de temps à autre à 2001, signifie beaucoup. Il ne faut cependant pas trop le sacraliser selon moi: ne jamais oublier que, même si la fin déchire sa race, elle a été improvisée sur le plateau. Il reste avant-tout un film qui s'est crée (presque) normalement.
C'est un long-métrage très culotté: il commence en montrant les origines de l'Humanité, peu flatteuses ; c'est pas du tout un film d'aventure ; on nous suggère des ET, ou autre, qu'on ne verra jamais ; la trame narrative est hyper-mince, ce sont les thèmes philosophiques qui font avancer l'intrigue et lui donne son volume ; le dernier morceau du film se situe dans une maison tout ce qu'il y a de plus Terrien... L'Odyssée avance en rythme de croisière, et ça a de quoi surprendre bien entendu. Mais si y'a bien un point sur lequel on peut pas converger selon moi, où toute discussion est inutile, ce sont les effets visuels, l'esthétisme du film: nickel chrome. Je pense d'ailleurs que ce sont les meilleurs effets spéciaux de tous les temps, car il sont à la fois la perfection et animés d'une "âme" identitaire, ce qu'aucun autre film selon moi n'arrive à combiner ainsi. On n'a aucune envie de savoir comment il a fait, c'est impressionnant de penser que le film date des années 60... Rien que le passage dans Jupiter, c'est un sommet de psychédélisme encore inégalé (surtout si vous voyez la reprise de l'extrait avec "Echoes" de Pink Floyd : décollage assuré, c'est Byzance sous LSD), intemporel, et juste hallucinant. Mais même en dehors de l'espace, au sein des vaisseaux grouillant d'inventivité ou les décors désertiques des premiers singes miséreux (dénichés au dernier moment par Andrew Birkin, le frère de Jane, au passage), c'est tout bonnement plus spectaculaire que tous les films de super-héros d’aujourd’hui. Le cadrage est très réfléchi, très contemplatif. Par exemple, j'ai été marqué par le choix de position de la caméra la première fois que les singes découvrent le Monolithe, juste avant le premier contact avec lui: il est situé dans une crevasse, planquée, agenouillée presque... On est dans l'immersion, protégé des remous qu'il se passe à l'écran dans notre crevasse, mais Kubrick n'oublie jamais de nous rappeler que tout ce qu'il se passe sur cet écran nous concerne et qu'on ne peut pas se planquer des évolutions humaines. Contre-plongés vertigineuses, perspectives en fête, zooms et dézooms valorisés (premier pas vers un pan essentiel du style de Kubrick), couleurs façonnant la psychologie des personnages... La gestion sonore est aussi remarquable, et parle d'elle comme d'une femme à part entière. Le silence de l'espace alterne avec les musiques lyriques, suivant le silence mortuaire qui règne dans les vaisseaux ou les paroles publicitaires et propagandistes des Hommes. La BO, évidemment, est mystique et correspond parfaitement au message du film selon moi: il est temps d'aller au bout de nous-mêmes, jusqu'à revenir aux fondamentaux que nous avons oubliés.
Et nous ne l'avons toujours pas fait. Au contraire, 2001 est pas particulièrement connue pour être l'année de l'intelligence et de la Paix...
Le scénario du coup. Le film dans son fond. Il y a des maladresses pseudo-intellos: l’introduction de 3 minutes avec un fond noir et une musique inquiétante, ça n'apporte rien, et j'ai pas de problèmes avec cette technique puisque j'ai adoré comment Inarritu a tester cette expérimentation: mauvaise idée. Les acteurs sont robotiques comme leurs personnages, limite on s'en fout qu'un d'entre eux soit père (surtout que la petite fille, celle de Kubrick, semble pas du tout à l'aise): mauvaise idée. Et puis, faut bien dire ce qui est, 2001 a un style plus lent que la filmographie entière de Leone, seul Bela Tarr peut rivaliser. Il ne faut ni regarder ce film sur un petit écran, ni le visionner tard dans la nuit: sommeil garanti, quelque soit l'avis sur ce film. Mais c'est un "fascinant ennui", comme j'avais pu le lire quelque part: on aime contempler ce Vide. Même si ça implique de détourner les yeux ou les pensées, comme la très lente vérification dans l'espace rythmée uniquement par des respirations, ou le vieil homme au crépuscule de sa vie. Hal 9000, Carl en français, est bien sûr une vraie leçon de personnage: un rond rouge peut rendre un méchant ordinateur crédible, malgré son intonation neutre. Juste l'enchainement des plans, ce point fixant, la connaissance de son pouvoir, et le tour est joué. Le film est bien structuré, bien divisé, et ses réflexions sont assurément importantes (il y a notamment une lecture religieuse toujours d'actualité). Mais il aurait tout de même fallu plus de consistance à toute cette méditation spatiale, au niveau de l'histoire. Genre des péripéties.
Un prodige visuel et un Classique parmi les Classiques, complètement intéressant, à analyser tout le long de sa vie, à explorer infiniment. Mais c'est quand même un film qui nécessite beaucoup de préparation et de précautions pour une seule œuvre... Mais que voulez-vous, c'est Kubrick, on y retourne quand on veux!