Il est des œuvres qui dépassent allègrement leur statut d’objet filmique, pour atteindre une portée politique choc, voire symbolique. En particulier les documentaires. « 20 Days in Mariupol » fera sans conteste partie de ceux-là.
A l’aube de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le reporter de guerre Mstyslav Chernov s’est rendu avec deux autres journalistes à Marioupol, persuadés que la ville allait être attaquée. Ils y resteront 20 jours. Documentant le début du siège, alors que le rouleau compresseur russe approche, que la ville ne reçoit plus ni eau ni vivre ni internet, et que tous les autres journalistes ont évacué.
On ne peut que saluer le courage de ces reporters qui ont risqué leur vie. Et la qualité de leurs images, dévoilant des civils pris pour cibles. Dont le tristement célèbre bombardement d’une maternité, qui serait peut-être resté sous silence sans eux. Un courage qui leur vaudra le prix Pulitzer, ainsi que d’autres récompenses pour leur film.
Mais quid du point de vue cinématographique ?
« 20 Days in Mariupol » parvient à rester saisissant de bout en bout. Dévoilant la déliquescence de la ville, la peur de l’arrivée des Russes, le chaos dans la population, et bien sûr les victimes. S’il ne verse jamais dans la complaisance, le film ne ménage pas son spectateur et montre allègrement la souffrance et la mort causées par le conflit.
La narration affiche en outre une « sous-intrigue » journalistique, bien vue. Nos reporters devront en effet trouver le moyen de régulièrement envoyer leurs images à la rédaction pour informer le monde de ce qui se déroule à Marioupol. Une tâche rendue difficile par la coupure internet. Sans parler du risque qu’ils courent s’ils se font attraper par les Russes, qui au mieux les contraindraient à prétendre qu’ils ont menti sur leurs images.
Même s’il on sait qu’ils sont aujourd’hui sains et saufs et que le film existe, cet aspect fonctionne très bien. Il permet une mise en abyme sur le métier de reporter de guerre. Comment trouver la limite entre l’investigation et l’indécence ? Une information cruciale vaut-elle de risquer des vies ? Des reporters peuvent-ils changer quelque chose au conflit ?
Ceci étant appuyé par les commentaires en voix-off, enregistrés avec le recul. Et le parallèle avec les médias qui ont utilisé ces images à l’époque… ou ceux côté Russe qui les ont qualifiés de fake news (!).
J’avoue que le film a particulièrement résonné au cinéphile qui est en moi, car il y a seulement quelques semaines j’ai découvert « Civil War » en salles. Qui traite du rôle de reporter de guerre, et présente quelques situations similaires. La réalité rattrape la fiction…
Un documentaire uppercut, à voir pour ceux qui s’intéressent au conflit russo-ukrainien.