Il n’y a pas vingt et une nuits, ni même une seule ou mille et une, dans le nouveau film des frères Larrieu : il n’y en aura que trois. Shéhérazade ? Elle est devenue Pattie, bonne vivante limite nymphomane ("Je suis esclave de la bite", affirmera-t-elle avec aplomb) narrant par le détail ses aventures sexuelles avec les hommes du coin (de l’idiot du village au producteur de vin en passant par quelques inconnus) comme la fille aînée du grand vizir racontait ses histoires au sultan Shahryar. Raconter pour exister, pour profiter et pour jouir, pour continuer à vivre dans la fête, dans l’ivresse et la ferveur de cet été, débordant de soleil. À la cool, détendu(e) du gland et du clito.
Il y a aussi de la fable là-dedans, il y a quelque chose du conte à connotations éminemment psychanalytiques et sexuelles (Pattie évoquant d’ailleurs La belle au bois dormant lors d’un dîner). Alice ? Cendrillon ? Blanche-Neige ? Elles sont devenues Caroline, ingénue parisienne n’éprouvant plus de désir, mais désirée pourtant, sans cesse (par André le lubrique, Pierre le capitaine de gendarmerie, Kamil le jeune fils de Pattie, ou cet homme étrange croisé plusieurs fois dans les alentours…). Débarquée dans ce petit village de l’Aude pour l’enterrement d’une mère restée trop longtemps méconnue, la voilà plongée au cœur d’un monde fantasque, presque à part, avec ce qu’il faut d’incube, de fantôme, de bals (sans princes charmants), de forêt touffue avec animal bizarre et champignons en forme de phallus (le phallus impudicus, dit le satyre puant), et même d’un "monstre" qui rôde et aurait dérobé le corps de la mère défunte (ou peut-être est-elle en balade, qui sait ?).
Sur un rythme languissant, un peu mal foutu, le film égrène ses élans excentriques soutenus par une ribambelle d’acteurs au diapason, mélangeant joyeusement vie et mort, sexe et amour, sensualité et trivialité, sodomie et nécrophilie. C’est qu’on s’en fout de tout, chez les Larrieu ; on vit d’abord. On savoure, on exulte, on se libère. On a l’appétit de la chair et du vin, des rires et d’une nature retrouvée, du bagou et du verbe, incarné ici par cet écrivain incertain qui pourrait être J. M. G. Le Clézio (et le père de Caroline, accessoirement) à qui je laisse ce dernier mot incarnant le film à la merveille : "Lentement, longuement, puissamment, la vie étrangère gonflait son excroissance et emplissait l’espace".
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)