Quelques informations disparates m'avaient mis la puce à l'oreille : ne connaissant pas Jia Zhangke pour ses travaux non-fictionnels, ce "24 City" était présenté parfois comme un film et parfois comme un documentaire, éveillant naturellement la curiosité. En réalité il s'agit d'un long métrage qui entend très volontairement travailler à la frontière entre les deux registres en prenant le contexte de l'usine 420 à Chengdu, avec son démantèlement et sa démolition au profit de la construction d'un grand complexe d'appartements de luxe donnant au film son titre. Le film prend les allures du documentaire pour explorer les lieux, à différents niveaux, mais avance selon une dichotomie cachée : les témoignages masculins sont ceux de véritables anciens ouvriers ou habitants de la région, qui évoquent des souvenirs personnels, tandis que les témoignages féminins sont le fruit d'une écriture de fiction mise en scène, récités par des actrices professionnelles — parmi lesquelles le cinéphile reconnaît Joan Chen et Zhao Tao.
À ce moment-là les choses deviennent claires, et pas uniquement parce qu'on voit bien des actrices jouer un rôle qui ne paraît plus aussi naturel que les autres personnages précédents. Zhao Tao est un peu l'actrice fétiche qui a joué dans les films de Jia Zhangke, tous ou partie (à vérifier), et Joan Chen interprète une femme qui est censée ressembler à Joan Chen, tout en évoquant son rôle dans le petit film historique / propagande "Little Flower". Le sentiment qui se dégage à ce moment est intéressant, très personnel et subjectif en fonction du degré de conscience de ce qui est en train de se révéler. En réalisant le parti pris, on en vient à se questionner sur la nature de tout ce qui a précédé, incertain quant à la véracité documentaire des témoignages. Ce sentiment précis vaut le détour, mais par contre j'ai été assez peu impliqué globalement dans la série de témoignages s'étalant sur trois générations, qui est censée établir le portrait d'une Chine passée dans la nostalgie d'un certain socialisme. Jia passe très peu de temps du côté des ouvriers et du travail manuel (tout juste un ouvrier retrouve son ancien chef d'atelier et se trouve très ému), il décrira assez peu le contenu de cet ancien site militaire secret, le tout dans un format vidéo numérique assez peu engageant et enveloppé dans quelques poèmes qui tombent de manière un peu artificielle.