Après La Plage, on dit de Danny Boyle qu’il est retourné dans son Angleterre natale, épuisé et déçu par cette première expérience hollywoodienne. Si cela ne l’a pas empêché d’y revenir par la suite, il profite de son retour pour se lancer dans des productions télévisées modestes avant de se voir très rapidement recontacté par son producteur Andrew Macdonald et Alex Garland (scénariste de La Plage) pour un projet de film sur des « zombies » capables de courir. A l’époque de leurs discussions, le terme « zombie » est employé mais il faut bien avoir à l’esprit que 28 Jours Plus Tard n’est pas un film de zombies, mais un film de contaminés. Si la différence semble mince, pour les spécialistes elle est essentielle, car selon les codes initiés et démocratisés par Georges A. Romero dans La Nuit des Morts-Vivants, un zombie n’est pas censé courir, tout comme un contaminé n’est pas censé être mort. Débat très sérieux dans le milieu qui avait par ailleurs été rediscuté à l’occasion de la sortie en salles de World War Z. Quoiqu’il en soit, Danny Boyle collabore à nouveau sur un scénario d’Alex Garland et démarre le tournage du film en septembre 2001. Pour les scènes à l’intérieur de Londres, Alex Garland s’est inspiré du roman Le Jour des Triffides de John Wyndham, où un homme se réveille à l’hôpital et découvre que toute la population est devenue aveugle. Cette impressionnante séquence d’un Londres vidé de toute sa frénésie est une introduction brillante en la matière. Tout le monde se souvient de Cillian Murphy, déboussolé et errant dans cette capitale abandonnée sur la composition envoûtante, aventureuse et saturée de Godspeed You! Black Emperor, qui inspira assurément par la suite les créateurs du jeu vidéo The Last of Us.


Ce qui surprend dans une production de ce calibre, c’est l’utilisation de caméras de qualité relativement modeste -certes en plus nombreuses quantité- en comparaison de ce qui se faisait à cette époque, surtout du côté de Panavision. Danny Boyle justifie ce choix d’utilisations de caméras digitales pour alléger l’organisation du tournage, tant dans la gestion matérielle que pour alléger le temps de préparation. Ce parti-pris confère à 28 Jours Plus Tard un style quasi-documentaire, proche du reportage. Le réalisateur dessine alors le portrait d’une société victime de sa fureur et se déchirant littéralement les uns des autres. Film d’anticipation et road-movie horrifique, Danny Boyle épate par la dimension narrative et émotionnelle de ce film de genre qui transmet avec brio ce sentiment de solitude, de chaos et de crédibilité. Les survivants deviennent tout aussi furieux que les contaminés, qui ne s’autorisent en aucun cas à avoir des sentiments et des émotions, de peur de finir comme le reste de la population. On se rappelle avec choc cette séquence où un survivant griffé est abattu aussi soudainement que brutalement par Séléna (Naomie Harris) alors qu’ils venaient de passer trois semaines ensemble. C’est là toute l’image d’une civilisation qui ne se laisse plus aucun répit et tente seulement de survivre, au détriment de ce qui fait toute l’essence de la vie. Ce qui est intéressant dans le traitement de ces contaminés, c’est que la faute incombe aux hommes autant à cause de leurs maladresses (les écologistes qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils libèrent) que des mauvais traitements qu’ils ont fait subir à leur environnement. Des singes porteur d’un virus dangereux et transmissible sont libérés et donnent lieu ainsi à un chaos inédit en Angleterre. C’est le point de départ d’un film où les premiers plans montrent un nouveau monde, redécouvert par Jim (Cillian Murphy) alors qu’il sort d’un coma. Au-delà du rapprochement très (trop ?) rapide qui a été fait avec les zombies, le personnage de Jim découvre avant tout des hommes victimes d’un mal qui semble incurable. Des hommes, des femmes, des enfants, des curés, personne ne semble échapper à cette folie qui les anime et les rend aussi féroces. Ainsi, il s’agit d’humains qui attaquent d’autres humains. La peur de l’inconnu et de l’étranger n’est finalement pas ce qu’il y a de plus terrifiant, car le véritable mal nous ronge de l’intérieur et est présent au sein même de notre société. A ce propos, le major Henry West (Christopher Eccleston) s’exprime sur la situation depuis l’infection dans un monologue glaçant de vérité :



Ce que j’ai vu durant les quatre semaines depuis l’infection : des
gens s’entretuer. Ce qui est également ce que j’ai vu durant les
quatre semaines avant l’infection, les quatre semaines encore avant…
d’aussi loin que je me souvienne, des gens s’entretuent. Ce qui, à mes
yeux, nous met dans un état de normalité en ce moment.



A l’origine, Ewan McGregor, puis Ryan Gosling devait être la tête d’affiche du film. Mais des problèmes d’emploi du temps empêchèrent de trouver un accord pour ces deux comédiens, Le rôle échoira finalement à Cillian Murphy, permettant de le révéler sur la grande scène internationale après quelques rôles discrets au cinéma. Il est secondé par un casting de seconds rôles tous plus excellents qui confèrent à ce film de genre une distribution prestigieuse. Naomie Harris est également révélée dans ce film par son tempérament sauvage, déterminée avec une pointe de sentimentalisme. Brandan Gleenson confirme qu’il est une véritable gueule du cinéma anglais et qu’il est toujours aussi plaisant de le retrouver sur grand écran. Son rôle de père prêt à tout pour sa fille participe à donner quelques moments de poésie, de contemplation et de franche camaraderie dans un film au registre dur. Après Petits Meurtres entre Amis, Christopher Eccleston retrouve Danny Boyle et joue ce major à la philosophie bien discutable. Tous participent à sublimer le travail de narration et de psychologie des personnages initié par Danny Boyle et Alex Garland. Un point également sur la composition magistrale du film dirigé par un John Murphy qui apporte cette tension et cette dimension apocalyptique nécessaire au film. Quand bien même vous n’avez pas vu le film, il est impossible d’être passé à côté du sublime morceau In The House – In A Heartbeat, réutilisé dans le second opus dans une introduction au rythme effréné.


Comme toute production, le scénario a connu de nombreux changements. A l’origine, Alex Garland avait imaginé voir arriver les survivants dans le laboratoire de l’introduction (celui à l’origine de la contamination). Frank (Brandan Gleenson) étant contaminé, un médecin survivant expliquait qu’il était possible de le sauver en pratiquant une transfusion de sang complète. Jim décida alors de se sacrifier pour sauver Frank. Danny Boyle n’a pas apprécié cette fin et a changé tout le script de la seconde partie du film. Et c’est finalement ce qui permit au film de prendre une dimension plus réflexive, en s’intéressant à la gestion militaire des événements et montrer que l’homme reste un loup pour l’homme. Pour les héros du film, atteindre ce camp militaire était une opportunité de trouver un refuge, une sécurité, un paradis qui se révélera n’être rien d’autre que l’Enfer (celui de Sartre) pour ces personnages qui ne devront plus compter que sur eux-mêmes. Car au sein de ce camp, les intentions -d’abord voilées- de ces soldats survivants ne sont rien d’autres que de faire subsister la civilisation humaine, et ce par tous les prix. Le major Henry West énonce froidement le programme des réjouissances à venir: rationaliser l’espèce humaine non contaminée, féconder les femmes survivantes consentantes ou non, et tuer les hommes non valides. Dans ces conditions, quel camp est le pire entre les contaminés et les survivants ? Fondamentalement pessimiste, Danny Boyle ne tombe pas non plus dans le nihilisme radical, comme en témoigne son final porteur d’espoir et de volonté de vivre en marge de tout ce système oppressant. En s’intéressant déjà à la thématique du communautarisme et de la difficulté du vivre ensemble et égaux dans ses précédents films, Danny Boyle montre que la vie en communauté cache toujours un rapport dominant/dominé qui ne peut être maintenu que par la violence. C’est là toute la force et la maîtrise d’un cinéaste qui se construit une filmographie cohérente et passionnante.


A sa sortie, 28 Jours plus Tard a obtenu un succès commercial considérable, rapportant dix fois sa mise au box-office international. Pour autant, son succès fût surtout d’estime, notamment en France où moins de 200 000 spectateurs se sont déplacés en salles. C’est avec le temps que le film a acquis une nouvelle notoriété, devenant instantanément un classique du cinéma d’horreur. Fort de son succès, l’idée d’une suite était inévitable mais Danny Boyle et Alex Garland ne restèrent que producteurs exécutifs sur ce 28 Semaines Plus Tard réalisé par Juan Carlos Fresnadillo. Si le film s’éloigne considérablement de l’idée d’un petit groupe de survivants face à la contamination pour aller directement dans le camp des réfugiés sous l’autorité militaire, cela ne l’empêche d’être une nouvelle et jubilatoire proposition qui se révèle efficace à défaut d’atteindre les grandeurs du premier volet. Ce que l’on appelait déjà la « Saga des 28 » avait de quoi devenir une oeuvre monumentale dans le cinéma d’horreur. Mais alors que les fans attendent toujours l’arrivée d’un troisième opus, Danny Boyle a récemment déclaré qu’il serait peu probable qu’un « 28 Mois plus Tard » voit le jour. Dommage, tant ce premier opus condense tout ce qui se fait de mieux dans le cinéma de genre « contaminé ». Le cinéaste mancunien renouvelle un genre qui avait pris un sérieux coup de vieux et qui prendra un nouvel élan à la suite du film. Il ne s’agit ni plus ni moins de l’un des meilleurs films d’épouvante-horreur du XXIème siècle. D’un budget modeste et avec des moyens limités, mais étonnamment surprenant (inoubliable Londres vidé de sa frénésie), Danny Boyle prouve à cet instant qu’il peut s’attaquer à des genres différents, sans perdre de sa maîtrise. Il confirmera cette polyvalence en s’attaquant par la suite à Sunshine, une magnifique et éblouissante proposition de science-fiction. Quant à Alex Garland qui recollaborera par la suite avec Danny Boyle, il a réalisé son premier film l’an passé, l’envoûtant et énigmatique Ex Machina.


Critique publiée dans le cadre de la rétrospective Danny Boyle sur CineSeries-Mag.

Kévin List

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