Le film de Martin McDonagh a connu beaucoup de succès. Il a remporté deux Oscars bien mérités, celui de la meilleure actrice (Frances McDormand) et celui du meilleur acteur secondaire (Sam Rockwell). Il était aussi en nomination dans cinq autres catégories, dont celle du meilleur scénario original. Et c’est là où le bat blesse.
Le scénario de ce film est le parfait exemple d’une excellente idée de départ qui se perd ensuite dans des dédales invraisemblables.
L’héroïne, une mère divorcée qui a perdu sa fille victime de viol et de meurtre, est en révolte contre le corps de police local qui n’aboutit à rien dans l’enquête. Elle décide d’afficher sa protestation sur trois grands panneaux publicitaires, en ciblant nommément le chef de police. Or il s’avère que ce dernier, loin d’être la brute policière incompétente et insensible qu’on attendrait, est en réalité une crème d’homme, sensible, compréhensif, empathique et respecté dans sa petite localité.
Qu’il ait été un être complexe, comme le sont tous les humains, aurait été suffisant pour alimenter une histoire qui se tient. Sauf qu’il apparaît peu à peu comme un saint homme. On le voit avec ses deux mignonnes fillettes et sa charmante épouse qui l’appelle « mon ange ». Comme si ce n’était pas suffisant pour le rendre sympathique, on apprend qu’il est atteint d’un cancer et qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. Il finira par se suicider pour éviter à ses proches les longs moments de son agonie. Il laissera aussi des lettres : l’une à son épouse, écrite avec la finesse d’un très grand écrivain, une autre à l’héroïne qui l’a publiquement attaqué mais qu’il semble avoir pris en affection, et une autre enfin à l’un de ses adjoints qui, lui, est la parfaite incarnation de la brute policière.
Cette dernière lettre constitue vraiment une pièce d’anthologie. J’aurais aimé pouvoir la citer intégralement. Il faut savoir qu’elle s’adresse à un policier qui a torturé un prisonnier noir et qui s’en défend ensuite en affirmant, deux fois plutôt qu’une, qu’on ne torture pas des « Noirs » mais qu’on torture plutôt des « Personnes de couleur ». La lettre du chef de police à son adjoint lui parle de l’amour et lui suggère de retrouver le calme pour pouvoir devenir le grand inspecteur de police qu’il pourrait être. C’est là le tournant le plus invraisemblable du scénario. La magie de cette lettre suffira à opérer le miracle qu’elle annonce, de concert avec la grandeur d’âme d’un jeune homme qui a été jeté par la fenêtre d’un deuxième étage par la brute policière. On croit rêver mais ce sont bien là les images qui nous sont présentées. Le chef de police est bien un ange et la brute deviendra un être humain.
Comme si tout cela n’était pas suffisant, on finira aussi par apprendre que le chef de police publiquement accusé par l’héroïne est celui qui a payé à sa place un montant de cinq mille dollars pour les frais du troisième mois de location des affiches accusatrices. On ne croit plus rêver, on rêve pour de vrai et on a du mal à se cramponner à notre siège pour ne pas s’envoler.
Cette série d’invraisemblances aurait pu suffire à tempérer l’élan d’enthousiasme des spectateurs, et pourtant il n’en est rien. Si on accepte de croire en la magie du cinéma au point de ne pas attacher plus d’importance à la psychologie des personnages qu’à la réalité des images projetées, tout se déroule à la perfection pour le plus grand bonheur de tous. Par contre, si on considère qu’un bon scénario exige qu’on puisse au moins croire que le comportement et l’évolution des personnages soient quelque peu crédibles, la magie est rompue, comme si on avait vu les fils qui font voler le magicien au-dessus de la scène.
Un scénario a toujours toutes les libertés, mais il me semble que s'il veut nous amener dans des avenues fantaisistes et invraisemblables, il devrait dès le départ établir ce type de rapport au réel et à l'imaginaire plutôt que de bifurquer à 90 degrés au beau milieu de l'histoire.