S'il fallait encore une preuve de la puissance dévastatrice du cinéma bollywoodien, 3 idiots l'apporte sur un plateau d'argent. N'importe où sur la planète, un film aussi guimauve empilant sans vergogne les bons sentiments à la pelle, les effusions de larmes à répétition et des gimmicks musicaux dignes d'un nanar de Noël, passerait pour un échec artistique majeur. Mais pas à Mumbai. Pourquoi ? Vaste question à laquelle il serait vain de chercher une réponse simple.
Toutefois, si l'on s'en tient au cas de 3 idiots, cela devient déjà un peu plus clair. Il y a d'abord cette fougue de tous les instants dans la réalisation de Rajkumar Hirani, cette façon de transcender les événements les plus anecdotiques pour en faire les épisodes cruciaux de destins hors du commun. En l'occurrence ceux d'une poignée d'étudiants en ingénierie qui se retrouvent 10 ans plus tard à la recherche de l'un des leurs. A mi-chemin entre le film de campus et le road movie, le scénario de 3 idiots n'a rien de l'histoire à dormir debout. Pourtant, on en sort avec l'impression d'avoir vécu une épopée intense, ballotté sur les rails d'un grand 8 émotionnel qui ne se refuse pas le moindre looping, comme cette scène d'accouchement filmée telle un sommet de tension à la De Palma.
D'ailleurs, ceux qui s'attendent à une comédie grasse (à juste titre au vu de l'affiche) en seront pour leurs frais. Non pas parce que 3 idiots manque d'humour, bien au contraire. Même s'il patine un peu au démarrage et souffre passablement des excès du score composé à 6 mains (!), le potentiel comique du film s'exprime pleinement dès que l'on commence à s'attacher aux personnages et à leurs personnalités très complémentaires. 3 idiots propose même un méchant d'anthologie avec ce doyen despotique, l'inénarrable Virus, joué avec force zézaiements par l'hilarant Boman Irani.
Drôle, donc, mais pas que. Rajkumar Hirani manie en effet la rupture de ton sans prendre de gants et aux moments les plus inattendus, jusqu'à nous cueillir à froid au détour d'une chorégraphie... Radical, mais efficace et plutôt couillu. Un peu à l'image de tout le film, en fait. Et malgré cette propension à y aller franco dans l'émotion, il faut bien avouer qu'on tombe facilement dans le panneau. Parce que les acteurs sont très bons, parce qu'on est pris par ce scénario endiablé, et parce que ce film transpire l'enthousiasme cinéphile par tous les pores.
Ajoutons que 3 idiots est d'une splendeur visuelle décoiffante, notamment dans ses 2 numéros musicaux (seulement 2 !), un vrai régal pour les mirettes et même un peu pour les oreilles. Qu'il a aussi le bon goût d'adresser un message gentiment critique envers le système éducatif indien et la dictature des castes, à travers son héros fils de domestique qui s'en sort par la seule grâce de ses capacités intellectuelles et spirituelles. Et qu'enfin, leçon à méditer pour les majors hollywoodiennes, au bout de 3 heures de film on en redemande volontiers. A bons entendeurs.