Pas de pitié pour les braves / Pas pitié pour les salopards



  • Combien gagnes-tu, Dan ? Pas gros, hein ?

  • Ça te regarde ?

  • Surement.

  • À quoi le vois-tu ?

  • Tu es pauvre, pour faire ça.

  • Possible.

  • Tu touches combien ?

  • 200 dollars.

  • 200 dollars ? Eh bien... Bigre, c'est une somme. Ça te dirait de la doubler, sans perdre ton temps, ni t'exposer ?

  • En échange de quoi ?

  • Lâche ce fusil et laisse-moi partir. À mes yeux, ça vaut 400 dollars.

  • Je te trouve prodigue. Tu es si sûr que tes hommes te délivreront.

  • Aucun doute là-dessus. Oui, ils sont en route. Seulement, j'aime opérer en douceur. Pacifiquement.




Justesse absolue



3H10 pour Yuma réalisé par Delmer Daves qui adapte une histoire d'Elmore Leonard présente un film d'une justesse absolue autant dans la forme que le fond qui à travers une tenue parfaitement pudique et unique va offrir l'un des westerns hollywoodien les mieux conçus de l'histoire. Un formidable travail de justesse qui ne s'enfonce jamais dans une sur-présensation de romantisme, de violence, de moralité, ou encore d'action, dosant incroyablement le tout par le biais d'une réalisation impeccablement gérée à tous les niveaux, d'un scénario parfaitement exécuté, des dialogues remarquablement justes, des jeux d'acteur totalement intense et jamais dans la surdramatisation, jusqu'à la parfaite composition musicale de George Duning (à écouter absolument) qui par des notes simples marque les esprits, comprenant également une chanson emblématique chantée par Frankie Laine. Une excellente chanson que l'on retrouve dès la scène d'ouverture et qui offre un contraste mélancolique subjuguant aux paroles saisissantes qui nous absorbent et viennent annoncer d'emblée de jeu la couleur du spectacle intrigant à venir. Une chanson, des musiques qui servent un far west parfaitement dosée, jamais dans l'excès.


Un spectacle réaliste qui se pose comme une toile de fond désolé du vieil ouest via des paysages arides magnifiques qui sont sublimés par la superbe photographie de Charles Lawton, Jr ainsi que par la caméra du cinéaste qui vient crédibiliser par une mise en scène murement réfléchie, au point de favoriser volontairement un choix de colométrie en noir et blanc pour un film sorti en 1957 (une date où le western était produit en couleur), pose une identité visuelle à part entière. Un choix technique habile qui vient offrir encore plus de texture au cadre de l'histoire, prouvant que Delmer Daves ne laisse jamais rien au hasard. En témoignent les "rares clichés" qui sont ici traités avec tellement de soin et d'intelligence qu'ils se fondent impeccablement dans le récit. Avec ce western, le cinéaste bascule l'exploitation Hollywoodienne dans un western mature à la croisée d'un mélodrame qui tout du long va détourner les codes par le biais d'une histoire intelligente racontée de manière si brillante qu'elle en devient subjuguante.


Un récit sans fioritures mené avec habileté dans une mouvance juste et économique qui sans en faire des tonnes exacerbe à mesure l'intrigue par une atmosphère géniale qui atteint l'apothéose par l'attente intenable d'une séquence fantastique se passant dans une chambre d'hôtel. Une chambre d'hôtel située à Contention devant la gare, percutante par l'attente interminable du fameux train pour Yuma qui doit arriver pour 3h10 et qui laissera place à un final au potentiel dingue et imprévisible dans lequel tout semble permis. Toute la contextualisation technique et dramatique dans la chambre d'hôtel avec Ben Wade (Glenn Ford) menotté allongé sur le lit et Dan Evans (Van Heflin) armé d'un fusil de chasse fixant inlassablement avec crainte une horloge démoniaque en alternant par des regards sur la fenêtre à la recherche du moindre signe du gang de Wade est incroyablement mis en scène avec en fond un cortège funèbre avec un tambour retentissant qui rappelle inlassablement la mort à venir. Du grand art ! Une scène époustouflante qui justifie à elle seule de regarder le film ! Durant cette longue séquence, l'interaction entre Ford et Heflin fascine grace à des scènes de dialogues uniques, riches en émotions avec une tension toujours plus suffocante par le biais d'une caméra qui délivre tout son génie artistique et intellectuel. Un trésor pour les yeux et pour les oreilles à voir absolument en version originale pour profiter pleinement du talent des deux comédiens principaux qui sont monstrueux.




  • Vous chantez ?

  • Pour qui, à Bisbee ?

  • Vous êtes plutôt maigre.

  • De corps et d'âme.

  • Oh, je n'ai rien contre, si elle compense ça par des yeux bleus. Ils sont bleus ?

  • Marron.

  • Au fond, ils n'ont pas besoin d'être bleus.



La performance de Glenn Ford est tout simplement irréprochable ! C'est avec un naturel pénétrant qu'il incarne Ben Wade, un chef de gang aussi respectueux qu'implacable qui avec son gang volent l'argent des diligences. Si Wade met un point d'honneur à ne tuer personne durant ses attaques, il n'hésite pas à abattre celui qui lui tient tête, quitte à tuer un des siens pour survivre. Wade est intelligent, calme, confiant, charismatique, rusé et manipulateur. Tout du long de l'intrigue on se régale de son attitude envers Dan Evans qu'il dégrade subtilement en se frayant un chemin dans son esprit qu'il ne cesse de torturer au point d'en ébranler ses convictions. Soulevant en lui des doutes qui le rendront fébrile. Ben Wade est également un vrai bourreau des coeurs qui avec un charme naturel s'adresse aux femmes comme personne, via une approche honnête et romantique. On se délecte tout au long du récit des petits sifflements de Wade qui concorde avec la chanson phare du film. Une approche intéressante qui permet de conserver en tête la chanson de Laine.


Une question se pose autour de Wade. Est-il gentil ? Est-il méchant ? Ben Wade est simplement inqualifiable et c'est ce qui fait tout son intérêt grace à l'approche du cinéaste Delmer Dave qui conserve jusqu'au bout le mystère autour de celui-ci. Finalement, Ben Wade est un homme indomptable capable du pire, comme du meilleur, semblable à une rivière capable de scintiller dans un calme limpide, pour tout à coup vriller dans un torrent impossible à stopper. Glenn Ford apporte ce qu'il faut de machiavélisme intellectuel pour en faire un antagoniste unique qu'il est difficile de saisir tant son approche se fait dans la subtilité. Le comédien dégage une confiance totale qui de son simple sourire satisfait parvient à nous saisir et à nous retourner. Certainement sa meilleure performance dans un des plus grands méchants du western.


Van Heflin en tant que Dan Evans est troublant de justesse et de sincérité. Le comédien est tellement stupéfiant dans ce rôle qu'il parvient à ne pas se faire aspirer par la performance hors normes de Glenn Ford en donnant ce qu'il faut de dévouement (en se consacrant à autrui de façon désintéressée sans rien attendre en retour), de nuance, de peur, de courage et de compassion pour se tenir à l'égal de celui-ci. Dan Evans est un éleveur honnête, croyant, aimant, travailleur et malheureusement désespéré suite à une succession de malchance liée à plusieurs années de sécheresse au point de privé d'eau son bétail, ayant pour conséquence tragique de financièrement le ruiner. Dos au mur, Dan tente de faire un crédit à la banque qui lui refuse, ne laissant comme seul autre choix un acte désespéré, en acceptant contre 200 $ d'escorter le prisonnier fraichement capturé "Ben Wade" jusqu'à Contention où l'attend le train de 3h10 à destination de la prison territoriale de Yuma. Dan est un travailleur honnête dans l'âme et terre à terre qui refuse de passer pour un héros auprès de ses deux jeunes fils qui l'admirent, préférant se consacrer à leur éducation sociale, et qui refuse de se corrompre au nom de sa femme qu'il aime éperdument et qui tout comme lui travaille dur. Van Heflin, décrit avec brio l'intégrité d'un homme sincère qui intérieurement est torturé par son incapacité à faire quelque chose de bien pour sa famille, qu'il ne veut pas voir supporter ses malheurs. Un rôle complexe que le comédien sublime par son jeu.




  • Tu es très intelligent... et je m'en voudrais de te corrompre.

  • Trop aimable.

  • Tu sais quoi ? Je sais ce qui te tourmente. Pas question que je te suggère de libérer un assassin. Mais Moons a fait le premier geste. Légitime défense, hein ? Je ne m'amuse pas à abattre les gens. Ça ne se fait pas. Je travaille paisiblement... comme toi.

  • D'accord, tu es comme moi. Alors, ferme-là, comme moi.



À mesure que l'intrigue avance et que le gang se rapproche du convoi, Dan et Ben forment un lien étrange, une émotion rare qui n'a rien à voir avec de l'amitié ou du respect. Cette relation se construit dans la différence par le biais d'une opposition totale entre deux modes de vie diamétralement opposé qui se retrouve seulement dans la détermination et le courage qui les anime. Un récit classique aurait construit un lien amical et respectueux entre les deux hommes, mais Delmer ne l'entend pas de cette oreille puisque jusqu'au retournement final aucune tentative d'entente n'est possible. Heflin à aucun moment considère Ford au point de regretter son choix de le conduire en prison, ne se mettant à douter que lorsque celui-ci lui promet beaucoup d'argent en échange de sa liberté. De même, que pas une fois Ford est prêt à épargner Heflin puisque lors de l'échappée finale il continuera d'inciter ses hommes à l'abattre quoiqu'il sache la femme de celui-ci juste à côté. ""Pas de pitié pour les braves / Pas pitié pour les salopards.""
Le cinéaste traite cette relation avec beaucoup de maturité à travers deux hommes qui "sont" ce qu'ils "sont" et qui ne font pas semblant d'être autre chose. Ils restent fidèles à leur conviction et ne sont pas prêts de changer, car changer c'est pour eux mourir. C'est pourquoi malgré les nombreux échanges intimes entre Dan et Ben : ""s'ils doivent tuer l'un ou l'autre, ils le feront."" Pas par haine, mais par nécessité. Seul le cinéaste Michael Mann parviendra à traduire de nouveau une telle complexité humaine via son film culte "Heat" avec la relation épique "Pacino/De Niro" qui est finalement très semblable à celle-ci. La seule différence se fera dans le choix ultime de Glenn Ford qui pour rester fidèle à sa vision du monde payera sa dette auprès de Van Heflin.


Il ne s'agit nullement de respect, mais de considération opposée.


Bien que 3h10 pour Yuma se consacre entièrement à Van Heflin et Glenn Ford qui sont dans ce film au sommet de leur art, la distribution secondaire est également superbe. Felicia Farr sous les traits de la barmaind Emmy offre une séquence amoureuse magnifique avec Glenn Ford qui reste malgré "la beauté de la séquence du baiser passionné", une relation adulte sur un temps limité entièrement consacré au plaisir charnel et sexuel qui permettront à la belle de s'évader l'espace d'un instant à sa vie codifiée, et pour Ford de retrouver la douceur d'un souvenir. Lenore Dana pour le rôle d'Alice : la femme de Dan apporte beaucoup de contraste en tant que femme faillible qui l'espace d'un instant s'émancipe de sa vie familiale pour une évasion fantasmée avec Wade qui lui raconte l'histoire d'une belle fille aux yeux verts, devant le regard troublé de son mari. Néanmoins, Lenore reste une femme et une mère aimante qui malgré la pauvreté et les difficultés refusent de tourner le dos à son mari et composent avec ses regrets et ses frustrations pour avancer. Elle offre un contraste anti-idyllique sur l'émancipation véritable de ceux enfermés dans une vie limitée par un cadre financier restraint mais au moins avec les gens aimés.


Richard Jaekel en tant que Charlie Prince bras droit de Wade, offre un acolyte efficace et une sérieuse menace au cœur froid qui malgré ce ressentiment conserve un grand respect pour son chef qu'il tentera de libérer coûte que coûte. Enfin je terminerai par les comédiens Robert Hemhardt et Henry Jones que j'ai beaucoup apprécié car ils offrent un parfait contraste aux clichés cinématographiques en étant pour l'un un riche patron prêt à risquer sa vie et son argent pour traduire Wade en justice qui a tué un de ses employés; et pour l'autre un ivrogne prêt à corrompre un enfant pour une bouteille qui pourtant est peu tout abandonné par fidélité. À travers ces personnages, Delmer Daves brise une à une les caricatures symbolisées par les archétypes du western pour quelque chose de plus réel et salvateur qui contraste à chaque fois par des actes diamétralement opposés qui questionnent les codes de moralités. En gros, des personnages authentiques capables du meilleur comme du pire.


CONCLUSION :


Delmer Daves propose avec 3h10 pour Yuma un véritable chef-d'oeuvre. Un western psychologique fascinant d'une justesse incroyable qui va briser une à une les caricatures du genre dans une conduite pudique qui jamais n'en fait des tonnes et qui pourtant va toucher les hauteurs cinématographiques avec des personnages hauts en couleurs qui vont s'incorporer à merveille dans l'histoire. Un long métrage qui puise sa force en son duo épique incarné par Glenn Ford et Van Heflin qui sont merveilleux en offrant un des plus grands duos de l'histoire via une relation sublimement nuancée. Le réalisateur Delmer Daves offre à nouveau un véritable joyau au côté de son acteur fétiche Glenn Ford qui signe son plus grand rôle. À retenir, la sublime séquence de l'attente interminable dans l'hôtel qui sera à l'origine d'une atmosphère intenable parfaitement illustrée et organisée qui s'enchainera sur une fusillade finale à la conclusion satisfaisante. Ce n'est rien que du bonheur. Oui, rien que du bonheur ! Un chef-d'oeuvre sans failles d'une justesse absolue à voir absolument pour sa troublante maturité.


Pardon pour la longueur de cette critique, mais mon western préféré ne méritait pas moins que cela.



Extrait chanson de Frankie Laine :
There is a lonely train
Il est un train solitaire,
Called the 3:10 to Yuma
Appelé 3:10 to Yuma.
The pounding of the wheels
Le martèlement des roues,
Is more like a mournful sigh
Est plus comme un soupir douloureux.
There's a legend and there's a rumour
Il y a une légende et il y a une rumeur .
When you take the 3:10 to Yuma
Lorsque vous prenez le 3h10 pour Yuma...


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le 6 août 2021

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