4 séquences
-La plus écœurante des négociations dans une chambre d'hôtel. Le suspense et les émotions vont crescendo, le réalisme est terrassant et le jeu d'acteurs d'une limpidité solaire. La révolte gronde mais elle est sans issue. Le pouvoir est dans des mains inflexibles qui veulent faire croire à leur bienveillance, mais qui savent leurs proies acculées. Les voix trébuchent, doutent, mentent, sortent du cadre. Le désespoir couve, et on le sait inéluctable. Une tragédie sans bruit. Et la caméra s'enfuit de la chambre, la tête basse.
-Un plan séquence des plus marquants qui prouve que l'immobilité de la caméra peut capter les chutes les plus interminables. A nouveau, peu de choses à l'image, si l'on est étranger aux enjeux et si l'on n'entend pas les voix. Des bouts de visages apparaissent furtivement autour d'une héroïne contrainte de demeurer à table, îlot de de détresse dans le repas enjoué. Toute la force de l'image, toute la puissance du cinéma est là ! Sans musique, sans effet, sans péripétie. Juste une situation, des humanités sur leur chemin, des acteurs en confiance, et une caméra qui tourne.
-La course dans la nuit pour cacher son secret au monde. Son double secret, en l’occurrence. Celui qui n'est plus, celui qui s'en vient. La sensation de danger qui semble tout entourer. Une nuit urbaine et banale comme ses néons, qui devient une nuit dans la plus épaisse des forêts des contes russes, lorsque la peur saisit les égarés. Le plus beau, dans cet onirisme ? C'est que je me le suis raconté tout seul, simplement porté par mon imaginaire.
-"On n'en parlera plus jamais." Et le couperet tombe sur un dernier plan d'un simplicité brillante. Car la vie est là, qui veut continuer, qui doit continuer ; peut-être peut-on encore sortir des plats à cette heure tardive, en cuisine. Et le bal du mariage bat son plein, au loin, envoie ses échos et ses rires sur de lointains rivages au premier plan, sur des naufragées qui ne regardent plus vers les lumières trompeuses des phares heureux. Et voici que surprise, on devine des phares de voiture luire sur nos héroïnes, découvrant qu'elles étaient depuis le début du plan derrière la vitrine du restaurant (hasard de la prise de vue ? Volonté du réalisateur ? Magie de l'instant, quoi qu'il en soit)
3 pensées
-Quel vibrant hommage aux femmes portant cet étrange privilège, bénédiction-malédiction, de tout temps et en tous les lieux. A situation particulière, chant universel.
-Comment raconter une époque sans l'affronter directement, pour un scénariste ? Se souvenir que le diable est dans les détails. Alors il suffit d'une absurde discussion au comptoir d'un hôtel, la surveillance outrancière, la liberté bafouée. La froideur des mots et des regards, la dictature sans fracas ou plutôt son application dans ses petits détails. C'est sans éclat, sans effusion, mais c'est saisissant.
-Par quel miracle l'alchimie opère-t-elle ? Comment un film parvient à nous happer dès ses premiers instants, nous entraîner dans un tourbillon vorace qui ne nous délivre qu'à la fin ; avec trois fois rien de choses là où d'autres déploient des trésors d'événements et de clameur pour n'éveiller qu'un sourcil étonné ? Est-ce un instant particulier dans nos vies propice à la rencontre avec un film ? (bien que rien de concret ne me rattache à son sujet) Est-ce une corde secrète en nous qu'un cinéaste a le talent de faire vibrer ? (sans pouvoir la trouver chez tous ses spectateurs) Est-ce sa façon de faire ?
En d'autres termes, à une autre époque de nos vies, avec d'autres partis pris de cinéaste, que se serait-il passé ?
2 chocs
Étrangement (ou non), ils ont lieu dans le même endroit, la salle de bains de l'hôtel, mais pas au même moment.
-Une scène de nettoyage intime sans dialogue, empressé. A gerber d'horreur, tant elle dit tout.
-Le plan le plus sanguinolent du film, sur la serviette au sol. Un instant, on croit qu'on ne verra rien, que tout sera à nouveau hors-champ comme de nombreux événements du film. Mais soudain, on nous jette dessus.
Mais que faire de ce plan-là, dans notre confort de spectateur ? Pourquoi ? Fallait-il vraiment le faire si crument ?
Se demander qu'en penser, n'est-ce pas déjà un début de chemin, finalement ?
Et 1 étonnement
Étonnement sur ce titre qui ne semble parler qu'à nous, puisqu'il n'est jamais annoncé tel quel dans le film. Étonnant, car je n'avais pas remarqué avant d'écrire ces sous-parties que le titre était un compte-à-rebours interrompu, ce qui paraît tellement évident désormais. Une fuite vers une fin qui s'impose d'elle-même mais qui n'est pas dite : qu'aurait pu être ce 1 qui aurait clos la chute avant le néant ?