Critique éditée le 20 août 2019
En 1987 dans une ville d'une Roumanie écrasée par la dictature de Ceausescu, Gabita et Ottila vivent dans un dortoir d'une cité universitaire. La période des examens approche et la fébrilité règne d'autant plus que Gabita se retrouve enceinte et n'a pas l'intention de garder le bébé. C'est donc à l'avortement qu'il faut songer. Toutefois dans ce pays totalitaire, cet acte est considéré comme un crime autant pour celles qui le subissent que pour celles ou ceux qui le pratiquent. C'est donc dans la plus grande des confusions et dans la clandestinité, dans une triste chambre d'hôtel, que celui-ci doit avoir lieu. Les deux jeunes filles, très solidaires, arrivent à se procurer quelques cigarettes et provisions et entrent en contact avec un "faiseur d'anges" surnommé "Monsieur Bébé", plus salopard que médecin. Ses conditions sont faramineuses et les deux copines ne peuvent avancer une telle somme. Le praticien exige donc en contrepartie d'abuser d'Otilla. Le chantage exécuté, l'avortement sur Gabita va pouvoir s'effectuer avec les risques qu'il comporte tandis que la pauvre Ottila, chargée d'enterrer le fœtus, reste traumatisée par l'outrage qu'elle vient de subir et ne trouve guère de réconfort autour d'elle, même pas celui de son fiancé.
Ce film de Cristian Mungiu nous projette dans divers horizons. Il nous décrit d'une manière fort réaliste la vie dans un état totalitaire telle qu'était à cette époque la Roumanie. Les citoyens traqués sans cesse par les questions insidieuses sur l'identité des gens, leur activité, leur lieu de résidence, pour quel motif ils se trouvent à tel ou tel endroit. Cela sent le flicage à l'extrême dans ces villes glauques et sinistres où seules quelques misérables voitures circulent sur les larges avenues sans commerce ni animation. Nous assistons aussi, au travers de ces deux amies, au vécu d'une cité universitaire sans âme où tous les "petits extras" ne peuvent s'obtenir que par le marché noir. L'univers est triste, bouché comme le climat régnant sur la ville. Puis voici l'épreuve suprême que doit subir Galita pour essayer de se faire avorter. Elle deviendra alors aux yeux du régime communiste une femme maudite et de plus criminelle si elle parvient à ses fins. Mais malheureusement a t-elle le choix ? Il lui faut d'urgence, avec son amie Ottila, trouver un "faiseur d'ange" lequel profitera malhonnêtement d'une situation désespérée, en particuliers envers Otilla, étant donné les risques qu'il encourt lui-même.
C'est ainsi que celle-ci, traumatisée et souillée par amitié pour son amie, aura la lourde tâche de faire disparaître le fœtus au cours d'une course nocturne à la lueur blafarde des quelques lampadaires. Si Galita est délivrée de son souci, Ottila reste prostrée dans sa honte et son honneur brisé et doute même de la confiance et la compréhension de son petit ami. Voici ce qu'il advient lorsque les droits les plus élémentaires des femmes sont bafoués ...
Cette oeuvre est difficile, mais par son style dépouillé, Cristian Mungiu a fait un bon choix en utilisant la lenteur de l'action afin de mieux nous faire entrer dans le huis clos étouffant de ces deux jeunes femmes. Désespérées, elles nous font partager leurs angoisses devant l'avortement, le viol, leur avenir et l'incompréhension d'une société corrompue par sa politique et ses magouilles se faisant passer pour moraliste au travers de quelconques idéologies qu'elle soient religieuses ou communistes.
Néanmoins cette histoire traitée à la mode thriller et qui reflète le parcours du combattant que doivent toujours mener les femmes dans beaucoup de pays aux idées rétrogrades et répressives, a parfois du mal à convaincre. En effet l'amitié que se portent les deux amies est mise à mal par la "souillure" que subit Ottila en faisant don de son corps afin de sauver sa copine. On est alors amené à en conclure que cette pauvre Ottivia semble être la réelle victime de cette douloureuse aventure. De plus l'attitude des hommes et leur jugement sur ce problème de société est assez caricatural. Ceux-ci paraissent tous suspects ou coupables dans leurs propos et leurs comportements. Et pourtant beaucoup d'entre eux ont lutté pour l'amélioration et l'émancipation de la condition féminine. C'est donc un film très "féministe" que nous livre le réalisateur et je ne pense pas que ce choix soit le bon. Cette parenthèse étant faite, il faut saluer les interprétations d'Anamaria Marinca et de Laura Vasiliu, émouvantes à souhait dans des rôles aussi bouleversants et délicats. Cette mise en scène réaliste et dépouillée parvient admirablement à les mettre en valeur et à les rendre d'une grande crédibilité.
Il est bien qu'une "Palme d'or" à Cannes récompense un film traitant d'un sujet de société aussi brûlant que celui-ci. Toutefois d'autres films ont fort bien décrit ce problème telle: "Vera Drake" de Mike Leigh, pour laquelle j'admets une petite préférence. Peu importe, il faut saluer Cristian Mungiu pour sa prise de position courageuse, elle vient s'ajouter à bien d'autres mais elles ne seront jamais assez nombreuses afin de venir à bout de ce carcan idéologique qui plane sans cesse sur les femmes.
Ce film a obtenu :
- Palme d'Or du Festival de Cannes 2007.
- Prix de l'Education Nationale 2007.
Box-office France: 328 846 entrées
Ma note: 9/10