Au centre du film, un plan où se croisent deux trams, dans un grand fracas de tôle, nous dit en peu ce que le récit nous affirme tout du long : l’écrasement, l’âpre impact et la contrainte. Violentées, les jeunes filles s’acharnent à suivre un chemin qu’on parsème d’obstacles de plus en plus insurmontables. Le récit est un parcours du combattant dont la grande réussite est de s’attacher à chaque détail. Passer un coup de téléphone, réserver une chambre d’hôtel, tout est de l’ordre de l’épreuve dans cette Roumanie de 1987.
A cela s’ajoute l’esthétique du film, brute et d’une grande intensité : plans fixes étirés en plans-séquence jusqu’à donner à la scène toute sa tension sous-jacente, dilatation des regards et des silences… Le son, très travaillé, participe activement à cette atmosphère qui nous submerge par les enjeux et les attentes des personnages. Un anniversaire de famille et la banalité des échanges qui s’y déroulent devient pour le spectateur une torture, celui-ci n’ayant plus accès au huis-clos qu’on l’a forcé de quitter avec l’une des héroïnes. Les dialogues sont écrits avec une attention maniaque, chaque élément permettant une nouvelle marche vers des non-dits plus effrayants. La scène de négociation avec l’avorteur est un véritable morceau de bravoure, et m’a rappelé dans son écriture la qualité et l’intensité de certains passages d’Une séparation de Farhadi.
Le film est totalitaire et implacable ; il va mettre le spectateur face à l’indicible dans un gros plan redouté et inattendu tant il a joué sur les limites du regard pendant une bonne partie de son récit. Et nous plonge sans concession dans l’ambiance suffocante et délétère d’une dictature, un peu à la façon dont Mc Queen nous donnait à vivre l’univers carcéral dans Hunger.