Voilà, la semaine dernière, Mayrig, cette semaine, la fin du diptyque d'Henry Verneuil. Une semaine pour distiller Mayrig, ce n'est pas trop. D'ailleurs, je m'étais dit (en trichant avec moi-même), il faudra que tu remettes la fin de Mayrig pour bien faire le lien....
Pour réécouter et revoir ce pur bonheur :
"Je me suis mis à valser (avec ma mère) et à tourner jusqu'au vertige. Je me souviens de ce bal de mes vingt ans où le temps d'une valse nous avions effacé la guerre. Je me souviens de ce petit morceau d'or gravé à mes initiales qui pèse toujours à mon doigt quelques tonnes d'amour. Mayrig, Anna, Gayané, mes plurielles de mères et toi mon père, mon vieux soldat des années difficiles. Je me souviens du bonheur d'être ensemble dans cette rue Paradis qui nous promettait l'éternité tandis que chacun de vos cheveux blancs annonçait déjà un cimetière de printemps"
Et le comble, c'est que "588, rue Paradis" commence par la même phrase (là je n'ai pas triché car je ne m'en souvenais plus).
Je ne sais pas quel est le poids de l'autobiographie dans cette suite où Azad est devenu un homme de théâtre célèbre. Il y a sûrement un fond de vérité, probablement une grosse part de fantasme, de fusion de souvenirs de plusieurs personnes et peut-être même des regrets de ce qui "aurait pu être" ou de ce qui "aurait pu se faire" ou qui "aurait été bien si".
Mais cela n'a pas beaucoup d'importance. Le message principal du film est le retour à ses origines comme un fondamental qu'on ne devrait jamais oublier.
D'ailleurs, le message est largement généralisable à d'autres situations où les hasards de la vie peuvent faire oublier ses origines paysannes ou ouvrières (sans parler d'origines étrangères).
Comme "l'histoire" du nom public dans le film où Azad Zakarian est devenu Pierre Zakar. Cela occupe trop de place pour que ce ne soit pas un (petit) regret d'Henri Verneuil, de s'être laissé à abandonner (renier ?) son véritable nom. Dans le film, ce sont ses propres enfants qui le rappelleront à se souvenir de ses origines.
Il y a dans le film des scènes grandioses bourrées d'une émotion qui étreint le cœur le plus endurci comme la scène de la soirée de la générale de la pièce "la Chevalière" où Azad offre à son père, Hagop, une flute en souvenir des complaintes qu'il lui jouait pour l'endormir lorsqu'il était enfant.
Cette scène délicieusement émouvante sera suivie d'une autre scène, elle, terrible, bouleversante, d'un impardonnable impair qui restera comme une marque au fer rouge dans le cœur d'Azad.
"Parle toujours comme s'il n'y avait pas de lendemain pour rattraper ce que tu as dit la veille"
Il y a aussi des scènes jouissives comme celle de l'ancien condisciple qui avait humilié Azad lors d'un "goûter" et qui vient le solliciter des années plus tard (excellent Villeret dans le rôle) ou bien celle de la cliente bourgeoise de la chemiserie des parents et qui pleure pour un geste commercial et qui se retrouve avec cinq chemises gratuites.
Là, je ne serais pas loin de penser que ce sont de vrais souvenirs mais arrangés, revécus après correction, du type "ça aurait été bien si" ou "si on avait pu".
Côté casting, Omar Sharif et Claudia Cardinale jouent très bien, comme dans Mayrig, de très beaux personnages. Richard Berry est le narrateur et joue le rôle d'Azad devenu Pierre Zacar, un grand homme de théâtre avec sa belle voix grave de conteur.
La manichéenne épouse de Pierre Zacar, Carole, qui concentre à peu près tous les défauts de la Terre est jouée par Diane Bellego. C'est le rôle de l'intruse, celle qui séduit et aveugle le brave Azad devenu grand.
Zabou tient un rôle très sympa en journaliste/libraire d'origine arménienne qui contribuera à ramener Pierre Zacar dans le giron arménien.
Avant de regarder le film, je m'étais dit que je lui mettrai "forcément" une note plus basse d'un point car il ne pouvait pas rivaliser avec Mayrig. Le problème, c'est que j'ai été aussi emballé par ce film que par "Mayrig". Ce sera donc la même note...
J'ai vraiment bien aimé la démarche de Verneuil qui livre ici une réflexion personnelle sur le poids des origines d'un individu et de l'importance de les conserver ou de les retrouver si on les a perdues.
Et si, pour ce travail de mémoire, on revit ses souvenirs en les arrangeant de la façon la plus agréable, pourquoi pas. Qui n'a pas revécu en songe certains épisodes de sa vie en gommant ce qui fâche et en se présentant sous le meilleur jour ?
Très beau film qui raconte, entre autres, l'ascension d'une famille émigrée arménienne du 109 au 588, rue paradis. Du 109 où l'appartement était infesté de punaises de lit au 588 qui est une maison de rêve.