Suffisamment rares sont les films venus d’Helvétie pour que celui-ci retienne l’attention. Ce troisième long-métrage de fiction du réalisateur et scénariste Jan Gassmann nous entraîne dans le sillage d’un amour prenant naissance sous la forme d’une passion charnelle. Comment deux comètes erratiques - la jeune sismologue Bigna, incarnée de façon assez saisissante par la belle et intense Valentina Di Pace, et le DJ noctambule Frank, campé par Dominik Fellmann -, en viennent à se joindre, se conjoindre, puis se détacher, pour mieux se retrouver, s’éloigner à nouveau, et se retrouver encore, en un mouvement de va-et-vient aussi fatal que la succession des marées…

Tourné dans la chronologie des événements, au rythme des saisons calendaires et amoureuses, le film prend le temps nécessaire à l’examen d’un tel enchaînement. Aucune tentative d’explication d’ordre psychologique, aucun dévoilement du passé des personnages, ces derniers sont saisis au présent, observés de près par la caméra précise de Yunus Roy Imer, comme des grands corps célestes pris dans leurs mouvements d’attraction et de répulsion au sein d’un univers régi par les lois de la gravitation universelle. D’ailleurs, comme pour l’observation des étoiles, les scènes sont souvent nocturnes, donnant au rayonnement lunaire tout son mystérieux magnétisme.

Les images de Yunus Roy Imer sont très souvent puissamment esthétiques, surtout lorsqu’elles se détachent de la précision pour aller explorer l’ambiguïté des reflets, le brouillage opéré par l’interposition d’une vitre ou les effets de la condensation. Un trouble qui joue aussi souvent du surgissement d’un double et interroge le vrai « moi » : dans quelle vie Bigna est-elle le plus elle-même ? Dans celle, bourgeoise, installée, reconnue, que lui offre l’homme qui est aussi son collègue et supérieur hiérarchique ? Ou dans celle, libre, plus modeste, aventureuse et nichée au creux de la nature, que lui offre Frank ? La musique de l’icône berlinoise Michelle Gurevich, portée par sa voix légèrement feutrée, achève de conférer à cette chronique chapitrée d’un amour vécu dans l’extrême du doute et du tourment un tour nostalgique, plus interrogatif qu’assertif. Une interrogation portant sur le fonctionnement du désir, de l’attachement, de l’engagement. « Tu confonds sexe et amour », lance durement Bigna à Frank, avant de plonger elle-même, avec délices, dans cette confusion…

En choisissant de confier les deux premiers rôles à deux acteurs non professionnels, Jan Gassmann savait qu’il s’exposait au risque inhérent à toute rencontre. Si Valentina Di Pace est plus que convaincante, bouleversant le film par la multiplicité de ses visages - dure, jouisseuse, dominatrice, hermétique, perdue, amoureuse, tendre, bourgeoise, assurée, ravagée… -, Dominik Fellmann dispose d’une palette moins large et son expressivité explose davantage dans l’engagement physique de son jeu corporel que par les nuances de son visage. Une dissymétrie qui dessine une légère lézarde dans cette sismographie par ailleurs assez envoûtante d’un duo adepte de tous les ébranlements.

AnneSchneider
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le 11 mars 2023

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Anne Schneider

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