En 2011, le néo-libéralisme vivait ses derniers jours heureux ; Obama faisait la guerre avec le sourire et la crise de 2008 n’avait pas encore remis en cause les partis politiques traditionnels. Un an plus tôt, on comptait près de 300000 morts de catastrophes naturelles, annonçant le désastre écologique à venir. C’est dans cette euphorie anachronique que se rencontrent les personnages de 99 moons, Bigna et Frank.
Europe, she loves racontait la solitude de jeunes européens précaires et indécis, dont la vie était rythmée par de brèves entractes charnels. Dans 99 moons, la sexualité y est plus viscérale ; elle est source d’un besoin insatiable, du désir de dominer l’autre. Lorsque Bigna et Frank se rencontrent, on croit que ce dernier s’apprête à le violer : les rôles s’inversent, elle le met à terre et lui impose un cunnilingus. Plus tard, pour la punir de s’être mariée, Frank frustre Bigna en l’empêchant d’avoir un orgasme, la laissant nue et désorientée dans sa voiture.
Les rapports de domination sont inconstants : le romantique va voir ailleurs, la solitaire tombe amoureuse. Comme dans toute relation toxique, les moments de bonheur sont exacerbés, en témoigne les nombreuses musiques à fleur de peau. Jan Gassmann tire un véritable érotisme de cette sexualité débauchée : la mise en scène est brutale, mais laisse souvent place à une certaine douceur qui n’est jamais pudique. La caméra n’esquive pas les corps, elle les filme avec simplicité sans faire dans la provocation.
Jan Gassmann raconte la collision de désirs inconciliables : celui de suivre le schéma familial traditionnel et celui de se concentrer sur sa carrière professionnelle. L’un veut s’implanter, l’autre se déraciner. Seule la sexualité permet cette corrélation passagère. « Que veux-tu faire d’une maison ? » demande Bigna. « Nous pourrions aller n’importe où. » La conclusion oppose les décors des deux personnages, désormais séparés : une chambre d’hôtel vide et une chambre d’enfant remplie à ras bord. Chacun possède une solitude intrinsèque. « Je pense que nous aimons tous les deux être libres », déclame Frank.
Le film se termine sur un tremblement de terre ignoré par les personnages, qui se morfondent dans leur mélancolie. 99 moons est le récit d’une catastrophe naturelle : une catastrophe car l’union ne peut pas fonctionner, naturelle car elle est d’une intensité irrésistible.
Site d'origine : Ciné-vrai