J'ai découvert Ådalen 31, et son réalisateur Bo Widerberg, à la faveur d'une programmation thématique de mon cinéma local et d'une restauration/distribution par la société Malavida (coeur sur vous). Sans cette programmation spéciale, je serais sûrement passé toute ma vie à côté de ce film magnifique.
D'abord, s'il est un film social et politique, le premier atout d'Ådalen 31 est qu'il n'est pas seulement cela. Il est d'abord l'histoire d'un garçon, d'une famille, d'un village, d'une communauté, centrée, certes, autour de la grève des dockers locaux, mais qui est une chronique de vie quotidienne magnifique. Elle contient cette ambiance doucereuse typiquement scandinave (le hygge, en danois).
Cette chronique du quotidien est renforcée par des personnages forts, qui ne s'expliquent jamais par leurs paroles, mais par toujours leurs actes, toujours complexes et magnifiquement interprétés, qui chacun font face aux tourments de ce quotidien. Chaque personnage ou presque est lumineux, et semble être filmé avec un immense amour par le réalisateur.
Une des forces de ce film est qu'on ne se rend compte de la situation sociale de cette petite ville, cette grève qui dure depuis près de 100 jours, qu'après 20 à 30 minutes de films. Ainsi, plus que de traiter de l'acte, du fait historique, on s'intéresse à l'histoire dans l'Histoire, à l'intrusion de l'individu dans le récit collectif, avec son bagage d'idéaux, de renoncements, de besoins et de désirs.
Ainsi, la scène pivot du film, qui traite de l'évènement éponyme au film, réalité historique et marquante pour la société suédoise pour les décennies qui ont suivi, s'en trouve décuplé. Y sont acteurs des gens que l'on connaît, avec qui ont s'est liés, et que l'on voit tenter de prendre en main leur destin.
Car si c'est moins brutal que dans un Costa-Gavras, le propos politique de Widerberg dans Ådalen 31 est marqué, voire engagé. Car on y voit les collusions entre les patrons et les forces de l'ordre, les disparités sociales marquées entre ouvrier et bourgeois, la cupidité ou le besoin de survivre qui pousse à la trahison de ses valeurs, l'endoctrinement possible par ceux qui pourrait détourner les orientations et moyens de la colère ouvrière. Tout y est.
On pourrait reprocher au réalisateur un portrait un peu trop indulgent de la bourgeoisie, une survalorisation des vertus nationales, des relents misogynes un peu marqués, et une idéalisation de la valeur travail, mais là est la culture scandinave. Progressiste mais pas trop vite...
Je ne peux m'empêcher de comparer, dans mon esprit, Ådalen 31 à La Porte du Paradis, de Michael Cimino, un des films tout préféré. Car, le mélange entre romantisme, lyrisme de l'image et propos de fort dur et engagé est le même dans ses deux films. Il me fait également fortement penser à Novecento, de Bernardo Bertolucci, qui traite l'intime et l'historique dans l'émergence des pensées révolutionnaires ouvrières dans l'Italie d'une période pas très éloignée.
Placé dans la lignée de ces deux chef d'oeuvre, Ådalen 31 n'en a pas le lyrisme et la portée politique et mérite un long détour qui ne vous laissera pas indemne. Je vous laisse, je pars découvrir plus encore la filmographie de M. Bo Widerberg.