Histoire de l'amour d'un père pour sa fille pour qui il est prêt à sacrifier ses valeurs, Baccalauréat est un film réussi du réalisateur roumain C. Mungiu qui lui a encore valu les honneurs à Cannes – prix de la mise en scène pour ce nouvel opus, après la palme d'or obtenue en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours.
La célèbre citation de Camus, légèrement détournée, résume le sujet du film: «Je crois à la Justice, mais je défendrai ma [fille] avant la Justice». En effet, Romeo (le père), homme éminemment vertueux, se trouvant confronté au dilemme l'obligeant à choisir entre la réussite de sa fille ou sa propre probité – les deux n'étant pas conciliables – opte finalement (et logiquement) pour le premier parti - par sacrifice à l'autre, par amour filial (avec des résonances psychanalytiques), et aussi un peu en raison de l'égoïsme d'un père projetant sur sa progéniture tous ses désirs et projets avortés. Leur relation résistant à toute épreuve se retrouve formellement matérialisée dans de fréquents dialogues qui ne sont jamais filmés dans l'opposition d'un champ contre-champ mais dans des plans séquences - comme celui, génial, dans la voiture, avec la fille dans le rétroviseur - les réunissant dans la même image.
Demandons-nous maintenant comment Mungiu entraînera son personnage principal vers cette lente dérive qui le conduira inéluctablement vers la faute? Tel est son talent: à partir d'un «accident» (fait divers en somme), il renversera l'ordre tout précaire et toujours menacé (qui est celui les traquant en hors-champ voulant briser cet ordre ?) de ces existences qui luttent courageusement, et dont les histoires personnelles dialoguent avec l'Histoire contemporaine politique nationale, pour expliquer les relations de cause à effet qui amènent Romeo et les autres citoyens à entretenir la corruption, quoi qu'ils fassent, tant ce cancer - personnifié par cet homme qui se nourrit comme une tumeur de son vaste réseau de trafic d'influences - s'est généralisé.
Ce récit, dont la dimension symbolique et l'enseignement moral («Rien ne sert de tricher» ou «la Justice vainc toujours») le rapproche de la forme du conte, met donc en scène un système gangrené dont on ne peut échapper qu'en fuyant - vers l'étranger pour Eliza - comme ce foie ne pourra survivre que grâce à la greffe d'un autre foie - corps étranger. Voilà la force dramatique d'un destin auquel les personnages ne peuvent échapper, eux qui sont fatalement liés les uns aux autres comme des cellules malades, de même que les nombreux plans séquences les disposent tous dans le même cadre.
Toutefois, malgré la gravité du problème en arrière-plan, le réalisateur met en avant la beauté aveugle de l'amour d'un père; aussi il se dévie de toute tonalité tragique en laissant la dernière scène ouvrir sur l'infini des possibles dans lequel l'avenir – représenté par Eliza – aura la possibilité de s'épanouir.