Blue
7.6
Blue

Film de Derek Jarman (1993)

Je m'en veux et pour plusieurs raisons. La première évidente c'est d'avoir mis des sous-titres pour voir ce film, s'il y a bien un film où ça va gâcher l'expérience visuelle c'est ce film là, mettre des mots en blanc sur ce bleu c'est un peu de l'hérésie. La seconde raison pour laquelle je m'en veux c'est que forcément si je veux suivre ce qui se dit, bien que je sois anglophone, j'ai quand même besoin des sous titres surtout lorsque comme ici c'est plus de la poésie qu'autre chose (le texte est juste sublime). L'autre raison pour laquelle je m'en veux c'est que par moments j'ai tenté de m'imprégner du film sans lire, juste avec le son de la voix et le bleu de l'écran. Et enfin la dernière raison pour laquelle je m'en veux c'est de ne pas avoir tenté l'expérience pure sans rien comprendre de ce qui se raconte.

Bien sûr tout ceci est contradictoire, mais ce n'est en rien la faute de l'auteur.

Franchement si je vous propose un film avec que un écran bleu et des voix off dessus vous allez rire et partir en courant, normal, j'ai eu la même réaction en voyant le film sur youtube, j'ai parcouru vite fait et je me suis dit que je n'avais aucune raison de le voir, pas de visuel, pas d'intérêt peut-on penser.
Et vu qu'il fallait malgré tout que je le voie je me suis procuré une bonne copie, sous-titres pour comprendre, etc.

Bordel, c'est quelque chose. Si on peut reprocher une chose au cinéma c'est que ça ne fait pas travailler l'imagination de son spectateur, on lui donne tout, tout de suite, rares sont les films qui parviennent à utiliser l'imagination et lorsqu'ils le font c'est en général de la métaphysique ou bien par le truchement du hors champ. Or là, tout est en hors champ, on ne voit rien. Et vous savez quoi ça reste plus du cinéma que tout ce que nous vomit Hollywood dans la bouche.

Godard disait que si on filme l'invisible on fait du cinéma et là de l'invisible il n'y a que ça, mais que ça. Pourquoi ? Parce que à l'instar de Shirin (que je recommande aussi) c'est à nous d'imaginer ce qui se passe, on se fait notre propre texte du lecteur (normalement propre à la littérature), on imagine la scène à partir de la description et la voix off, son intonation (car elle n'est pas si monolithique qu'on pourrait le croire), la musique, la bande son en général font le reste.

Mais mieux encore, on s'imagine donc ce qui se passe, les lieux, les actions, mais ça n'en fait jamais trop. On n'est jamais dans le misérabilisme le plus total, on est dans la retenue et c'est ça qui en fait un film émouvant. Et en même temps un bien meilleur film que Dallas Buyers Club sorti récemment parlant aussi du Sida, parce que là le réalisateur est réellement sur le point de mourir du Sida, il ne fait pas semblant, comme tous les séropositifs ne font pas semblant, contrairement à McConaughey. C'est ça qui est touchant, c'est que c'est authentique.

Et la forme du film devient juste un trip hallucinatoire extrêmement beau et poétique.
Comme je le disais en introduction je n'ai pas forcément tout écouté, j'ai tenté par moment juste de m'immerger dans le film dans l'ambiance qu'il propose. Il est évident que c'est à voir au cinéma (si un cinéma daigne bien passer ça).

C'est vraiment une expérience totale et qui contrairement à beaucoup d'autres films n'oublie pas l'essentiel : l'émotion (pour paraphraser Fuller dans Pierrot le fou).

Je veux quand même répondre à la question que tout le monde doit se poser : est-ce-que c'est chiant ? parce que oui, il ne faut pas se mentir c'est ça qui va rebuter les gens à aller le voir. Pour tout dire à la fin je ne voulais pas que ça s'arrête, car l'arrêt du film signifiant la mort du narrateur. Mais on ne va pas se cacher que ce n'est pas forcément le film le plus facile d'accès, le plus divertissant du monde, mais ce n'est pas une raison pour le bouder tant il a des choses à offrir par la radicalité de son dispositif et sa puissance émotionnelle.

Bref c'est un putain de grand film.
Moizi
9
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le 27 févr. 2014

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Moizi

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