Nostalgie, quand tu nous trompes.

Il est des souvenirs d’enfance flous, des instants précis déformés par les prismes de voiles opaques qui font se confondre réalité et fabrication de l’esprit. Les années altèrent et remodèlent des souvenirs malléables, retranchés derrière des barrières infranchissables pour notre vision d’adulte lestée par le poids d’une réalité trop présente. Vous savez, ces moments qui en pensées semblent si nets mais dans lesquels on ne discerne plus le vrai du faux, à tel point que tout est forcément vrai.
Il était un âge où une perception maintenant révolue pouvait transformer l’ombre d’un rideau dansant par une nuit d’orage en fantôme terrifiant venu hanter les errances nocturnes de mon esprit. Ajoutez à cela les images marquantes d’un film fantastique baigné d’horreur et j’allais me coucher, escorté par mes pires cauchemars. Dans ces instants, seul dans la pénombre, je tentais inlassablement de raccrocher mes dérives imaginaires à la réalité en me focalisant sur un évènement banal et rationnel de ma journée. Et à chaque tentative, c’était peine perdue. L’horloge tournait. Les mouvements de la trotteuse claquaient au rythme des longues secondes qui rythmaient mes peurs.
Je m’immergeais alors doucement sous ma couette jusqu’aux yeux, guettant le moindre mouvement, prêt à allumer la lumière pour voir s’évaporer les sombres recoins de mes perceptions. La chambre de mes parents pourtant à côté devenait inaccessible, comme si le couloir s’était transformé en immense route ténébreuse et parsemée de pièges, où d’étranges yeux m’épiaient dans l’ombre.
Seul face à l’adversité, les bruits de la nuit prenaient alors une toute autre dimension. Un craquement. Un son inconnu. Une porte qui grinçait doucement. Tant de signes annonciateurs de l’arrivée d’une créature difforme aux yeux rouges déchirants les ténèbres, et aux dents acérées sur lesquelles venait se refléter la lumière de la pleine lune. De longs poils noirs tels des épines empoisonnées dansant macabrement sur ses épaules. Un dos vouté, un souffle chaud et une haleine laissant planer dans l’air une espèce de vapeur verte malodorante. Des doigts crochus claquant les uns contre les autres comme des bouts de bois s’entrechoquant et, point d’orgue de mon imagination en roue libre, une longue queue lisse terminée par un troisième œil dénué de paupières, véritable détecteur lui permettant de disparaître avant d’être repérée.
Immobile, glacé d’effroi par mes propres peurs, la seule solution restait le cri qui réveillerait mes parents. Je pouvais compter sur un père fatigué mais bienveillant pour repousser par une simple pression sur l’interrupteur cet être hideux qui, dans la bouche de mon humble sauveur n’était qu’un mauvais rêve. Après une inspection approfondie, vérifiant que le rideau n’abritait aucune âme tourmentée, que le croque-mitaine ne se tapissait pas sous le lit ou que le placard ne contenait bien que des habits soigneusement pliés, il partait triomphalement dans son armure scintillante en assurant, menteur rassurant, qu’il n’y avait rien à craindre et que le monstre ne reviendrait pas. Et bien sûr, il revenait le vil messager du mal, parfois sous d’autres formes mais toujours cintré dans son costume terrifiant.
Chaque enfant a vu ses nuits hantées par ses pires cauchemars, tout du moins, je l’espère car il aurait été injuste que je sois le seul. Pour la plupart, ils se sont estompés avec l’âge. D’autres malchanceux les redoutent toujours car ils n'ont jamais eu le courage de les affronter.


Voilà ce que m’évoque le souvenir de « Ca ». Ce téléfilm en deux parties vu sur M6 m’avait laissé jusqu’à aujourd’hui des bribes visuelles d’une horreur qui ne m’a pour autant pas rendu coulrophobe. Mais certaines scènes de l’époque, dévoilant un Pennywise dans son caniveau, au milieu des douches ou se mettant en mouvement sur une photo m’ont habitées très longtemps.
C’est cette nostalgie de l’effroi qui m’a poussé avec une certaine excitation jusque dans une salle obscure pour retoucher à mes peurs de jeunesse.
Triste constat. Je ne suis plus un enfant.
Même si on reconnait une volonté fardée de bonnes intentions de faire revivre l’abomination au nez rouge de Stephen King, les ficelles tirées par Andy Muschietti, réalisateur du décevant Mama, ne raviveront jamais les réactions du pantin désarticulé que j’étais lorsque je sursautais.
Ce remake de « Ca » n’a d’horreur que la réputation de son aîné et le malaise latent de la première scène, seul véritable face à face tendu entre le clown et l'une de ses victimes. Bill Skarsgård inquiète alors. Et tout le reste du film ne fera que dilapider les cauchemars, jouant perpétuellement sur la carte visuelle en transformant chaque apparition de ce cher Pennywise en simple hystérie accélérée, confrontant cette bande des loosers à leurs propres peurs, finalement réussies lorsqu’elles ne sont pas concrètement mises en formes (la scène de la salle de bain).
Ces gamins constituent d’ailleurs à travers leurs expériences très terre à terre le seul point positif de ce film, oscillant entre les sentiments d’un été à la lisière de l’adolescence, entre amours, amitiés, changements physiques et rapports avec leurs géniteurs.
Mais, ne m’avait-on pas vendu un film d’horreur ? Suis-je devenu trop vieux pour ses conneries ? Peut-être.
« Ca » 2017 aurait surement terrifié le gosse de 10 ans que j’étais lorsque j’ai vu son prédécesseur. Une rencontre qui ne doit pas être étrangère à mon plaisir de frousse sécuritaire le soir au coin du chauffage.
Mais voilà, question frissons, la barre a déjà été placée bien plus haute et la suggestion, la latence de l’apparition, le caractère anxiogène de l'invisible a renvoyé la pure et simple image au rang de vérité irréfutable, figée et incontestable. Aujourd'hui, c'est le non-dit qui m’intrigue et accompagne mes errances nocturnes. Ici, la réalisation est mâchée, il n'y a plus qu'à avaler.
Le craquement. Le son inconnu. La porte qui grince doucement. Le ballon rouge annonciateur du danger. L'attente du monstre m'inquiète bien plus que le monstre lui même. Je suis mon propre chevalier dans son armure scintillante. Lorsque le danger se matérialise, il se désacralise et devient destructible. Je le repousse d'un revers de rationalité. Mais quand il n'était qu'un bruit indescriptible, alerte, je frissonnais d'excitation face à toutes les formes qu'il pouvait prendre, qu'il s'agisse d'un clown, d'un fantôme ou d'un monstre terrifiant.
Je ne suis plus un gosse. Je n'ai plus peur de toi Pennywise. D'ici quelques années, je te présenterais mes enfants. J'espère que tu sauras les terrifier.

RicowRay
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le 5 nov. 2017

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