Marvel version Robert Ludlum

Je n'ai jamais été fan des films Marvel, jamais été à même de comprendre l'engouement que suscitait l'annonce d'un nouveau film de la franchise parmi des fans aux yeux pleins d'étoiles. Pour moi ce sont des films grand spectacle, prétextes à effets spéciaux, dont certains sont franchement mauvais (Iron Man 3) ou d'autres plutôt bons (Captain America : First Avenger), mais sans jamais réellement se démarquer. Je continue tout de même à aller les voir, en bon geek, voulant avoir les références et éviter de me faire spoiler par la toile, espérant de bonnes surprises.

Les trois franchises principales de Marvel sont Iron Man, Thor et Captain America : Iron Man n'est pour moi sauvé que par Robert Downey Jr. qui est capable de rendre des gags d'une platitude extrême proprement hilarants, Thor c'est pour Tom Hiddleston et Anthony Hopkins que j'adhère un minimum (sinon c'est plutôt nul) ; et le premier Captain m'avait bien plu, avec son univers vintage et plus terre-à-terre, humain et sensible que ses comparses (+ Dominic Cooper, Tommy Lee Jones et Hugo Weaving , toujours aussi classes). Hulk je l'ai oublié (dommage que Norton soit parti de la franchise), et Avengers m'a laissé de marbre.

Bref, pour moi ces films sont donc des dessins animés transposés en vision réelle avec beaucoup de fan-service et de connerie brute. Ainsi quand Iron Man 3 était annoncé comme étant "sombre, adulte, etc etc", j'étais très intéressé ; je vous passe ma déception face à cette fumisterie. Donc, sortie de Captain America : Le Soldat de l'Hiver : j'ai vu le premier, j'ai vu la bande-annonce, j'ai vu le casting, je sais pas à quoi m'attendre mais ça a l'air pas mal du tout. Je me dis que si ce film est foiré, c'est qu'ils l'ont vraiment voulu et que j'irai plus voir de Marvel après ça.

Et j'ai donc assisté au premier Marvel vraiment sérieux qui contrairement à son prédécesseur frise l'anti-patriotisme. Tout est plus sombre et réaliste dans ce Marvel, et le film garde l'humanité de ses personnages (qui fait grandement défaut aux autres franchises) qu'on avait déjà dans le premier. Ce film est comme un miroir de son prédécesseur : le premier était coloré, manichéen, patriote ; 70 ans plus tard le monde n'est plus le même : tout est gris, et différencier les gentils des méchants n'est plus si simple. Dans le doute, le Captain dit "les méchants c'est ceux qui te tirent dessus". Old fashion.

Captain America : Le Soldat de l'Hiver est un thriller politique, c'est-à-dire un film avec un réel scénario et un ou plusieurs messages, où il faut réfléchir un minimum. Le film est donc appréciable tant sur le fond que sur la forme, que j'ai préférée a celle des autres Marvel : rien de flashy, on est plus dans du Dark Knight, et plus encore dans du Jason Bourne. Ce n'est pas un hasard si Robert Redford est au casting : c'est un grand adepte des thrillers politiques post Watergate. Qu'un acteur de cette carrure, de ce sérieux rejoigne un Marvel m'avait bien intrigué, plus qu'avec Kenneth Branagh et Thor. Il retrouve donc Scarlett bien après avoir murmuré à l'oreille des chevaux.

Accessoirement, Samuel L. Jackson nous fait profiter de sa façon bien à lui de jouer, en particulier lors d'un récit de famille dans un ascenseur, scène assez tarantinesque (au passage, ce film est blindé de références de tous bords plus ou moins subtiles, et pas seulement à Marvel) - c'est la première fois que ce personnage et surtout son acteur sont réellement exploités, et c'est pas trop tôt.

Le lien avec l'univers Marvel est toujours là, mais juste assez pour nous rappeler ce qu'on a du mal à croire en voyant ce film : dans cet univers il y a un bodybuilder de l'espace et un playboy en armure volante, avec des aliens et autres ! Je reconnais ça à Marvel, ce panache pour faire un multivers complexe et incohérent dans son esprit qui cependant tient la route (en fait seule la franchise du Captain dénote, ce qui facilite peut-être les choses). La seule oeuvre à ma connaissance qui ait réussi à faire ça (beaucoup mieux bien entendu), c'est Cowboy Bebop (petite note : j'attends le délirant et prometteur Guardians of the Galaxy au tournant).

Venons-en à la vraie star de ce film : le Soldat de l'Hiver. Avec Loki, Robert Redford (j'ai zappé le nom du perso) et Crâne Rouge (Hugo Weaving, l'Agent Smith, Elrond, enfin voilà !), je crois que c'est le seul "méchant" Marveleux dont je me souviendrai vraiment. À l'image de toutes les scènes d'action du film, il est puissant, méthodique, un vrai steak, le Dirtbag Ultime qui doit surement être fan de Scorpions. Aussi stylé que le film donc, c'est aussi un être torturé - je n'en dirai pas plus. Bref, le coté fan-service plein de persos dark (ou pas) qui se la pètent est utilisé avec brio et à bon escient. Là on est juste dans une forme rare de badassitude : crédible et pas ridicule (ce qui concerne tant ce perso que le reste du film). Tous les Marvel ont un budget dingue, et ça rend pas toujours bien, mais celui-ci est le seul que je n'ai pas trouvé surfait dans sa mise en scène.

La B.O. colle aussi ; très moderne, peu de trompettes (sauf pour les scènes nostalgiques de l'Âge d'Or du Captain, durant la WW2, cet autre monde dissolu dans le temps dont l'humanité a fait n'importe quoi). On a aussi droit à deux ou trois morceaux fort sympathiques.

En plus de ça, les quelques touches d'humour du film, parfaitement dosées, sont toujours bien pensées et bienvenues. La complicité entre Steve Rogers (Captain) et Natasha Romanoff (La Veuve Noire), deux personnages tellement différents, est vraiment géniale - on a pas pu voir comment ça s'est développé entre les films, étant donné qu'avant il ne se connaissaient pas, mais on s'en fout. Parallèlement, une certaine mélancolie, une nostalgie de l'univers disparu et enchanteur du premier opus (bien que ses aspects les plus réalistes aient été passés sous silence) se fait ressentir tout le long du film - le premier opus n'est pas renié, il est même rappelé tout le long, c'est bel et bien une suite directe, mais les deux films n'ont rien à voir si ce n'est les personnages morts entre les deux et le Marvelverse ambiant ; c'est voulu et c'est une bonne chose, on adhère ainsi plus à l'esprit critique du film et on s'immerge plus dans la psychologie de son personnage.

Captain America : Le Soldat de l'Hiver est donc un sacré bon film, un thriller, un film d'espionnage et de trahison comme on en voit peu ; on voudrait en voir plus comme ça, sans l'aspect super-héros/geek/fan-service. On oublierait presque être face à un film de super-héros. Ultra-moderne et maîtrisé sur la forme, profondément humain sur le fond ; on assiste au combat bien réel entre les hommes et leur artificialisation, entre les valeurs du passé et du présent. On se divertit autant qu'on réfléchit, ce qui est extrêmement rare, a fortiori dans un Marvel (edit 2018 : Le scandale Cambdrige Analytica montre la pertinence de ce film).
Une (grosse) production de très grande qualité, qualité que j'espère retrouver dans le prochain Captain America (je ne me fais pas d'illusions quant au reste de la franchise, mais sait-on jamais).