Coraline
7.2
Coraline

Long-métrage d'animation de Henry Selick (2009)

Henry Selick n’est peut-être pas assez reconnu, et c’est bien dommage. En plus d’être un des grands noms de l’animation en volumes, cette technique fastidieuse mais fantastique qui consiste à filmer image par image pour créer l’illusion du mouvement, tout son travail en tant que réalisateur peut être analysé à travers quelques grands axes qui démontrent une intention, et donc une oeuvre.


Et pourtant, dans sa filmographie en tant que réalisateur, il apparaît avant tout comme un adaptateur, utilisant des oeuvres préexistantes à ses fins. Dans le fabuleux conte l’Etrange Noël de monsieur Jack il développe un poème illustré de Tim Burton (qui, faut-il le rappeler ?, n’a pas réalisé ce film). Il enchaîne avec James et la pêche géante, sympathique animation d’un roman de Roald Dahl. Le méconnu et peu glorieux Monkeybone adopte un ton plus adulte, mais se vautre, adaptant un obscur comic-book de Kaja Blackley. Enfin, avec Coraline, c’est l’univers de Neil Gaiman et son roman éponyme qui constitue la source de l’oeuvre


Les inspirations sont différentes, les films aussi, mais ils partagent tout de même tous un point commun, un point de référence duquel Henry Selick ne cesse de tourner, le revisitant ou le questionnant.


Car ces quatre long-métrages évoquent le monde de l’ailleurs, des dimensions parallèles à la nôtre. Ils créent des liens entre les mondes. Dans l’Étrange Noël de monsieur Jack, Jack Skellington découvre qu’il vit dans un monde de fêtes et il usurpera la place de Père Noël pour intervenir dans celui des humains. James s’évade de son quotidien triste et misérable grâce à une pêche magique. Dans Monkeybone, Stu dérive dans son coma à l’intérieur d’un monde imaginaire, Downtown, univers décalé et fatigué.


Et dans Coraline, il y a cet autre monde, matérialisé par une petite porte, où d’autres versions de ses parents l’écoutent et la chouchoutent, sont aux petits soins pour elle. Les murs sont les mêmes, mais les couleurs sont revenues, les décorations sont chatoyantes. Les voisins ne sont plus des hommes et des femmes aux gloires perdues ou jamais atteintes mais des nouvelles éditions d’eux-mêmes, resplendissants, prêtes à faire le show, toujours plus beau, toujours plus fort.


Mais pour quoi faire, si ce n’est pour éblouir Coraline ?


Et progressivement le malaise s’installe. Ces nouvelles versions aux yeux remplacés par des boutons ont d’autres intentions, et la pièce maitresse derrière tout ça est une caricature malsaine de la maternité, étouffante et dominatrice.


Mais si Coraline, adorable adolescente aux cheveux bleus et au regard piquant, est si proche de se faire emporter par les promesses illuminées de cet autre monde, c’est que celui dans lequel elle vit lui renvoit sa solitude. Elle peut trouver un léger réconfort auprès des étranges et bigarrés voisins, ou du petit-fils de la propriétaire, Pas-de-bol, et même d’un curieux chat un peu miteux.


Ce nouvel endroit dans lequel elle et ses parents sont arrivés est triste, il est vieux, désuet, et les murs gris et ternes manquent de décoration, de vie, de personnalité. Car ses parents, obnubilés par leurs professions un peu ingrates, délaissent voire restreignent cette adolescente à la personnalité affirmée.


Cet incroyable récit peut fonctionner grâce à la magie déployée par Henry Selick et son équipe d’animateurs, d’ailleurs ils sont les premiers cités dans le générique de fin, une belle et juste reconnaissance. Un peu de retouche numérique est tout de même ajoutée pour lisser le tout, enlever quelques bavures techniques ou rehausser les couleurs. Mais c’est un travail de longue haleine, à la main, que d’animer les personnages dans ces petits décors, images par images, tout en veillant à leur offrir une expressivité qui fasse oublier leur condition de petites figurines en silicone.


L’exploit pourrait rester impressionnant, juste sur sa technique, mais le film ne mise pas que sur de telles prouesses. La mise en scène fait oublier ce jeu de poupées dans des petits décors, puisqu’elle se déplace, s’éloigne ou se rapproche, parfois s’invite au plus près, singeant les codes habituels pour mieux nous immerger dans son histoire.


Mais le film réussit aussi l’exploit de nous épater, et pas seulement sur des critères animés, mais bien en usant d’un sens artistique certain. Il y a ce monde terne bien sur, mais aussi avec une certaine beauté, mélancolique, à l’image de ce vent qui souffle sur les herbes, ou de ces arbres qui fleurissent, mais aussi cet autre monde, coloré, fantaisiste, où tout semble possible, dans des excès lumineux et chamarrés qui épatent les pupilles.


Mais n’y replongeons pas, nous en savons maintenant les sombres attentes derrière les belles promesses. Et si les craintes ressenties devant les premières fêlures pouvaient faire froid dans le dos, les développements suivants continueront à développer un certain malaise. Il a d’ailleurs été reproché à Coraline de ne pas être assez familial, et pourtant il est important de montrer aux plus jeunes des oeuvres plus sombres, moins abêtissantes. Ils s’accapareront le combat de Coraline pour combattre ce malaise et sauver sa vie mais aussi celle de ses parents, tandis que les plus âgés ne peuvent être que soufflés devant ce film qui démontre une nouvelle fois le talent d’Henry Selick.

SimplySmackkk
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le 29 mai 2021

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SimplySmackkk

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