Peu de films m’auront autant marqué que Cube (1997). Si je me souviens bien, je l’ai découvert quelque part au début des années 2000 (Cube Zero, 2004, n’était pas encore sorti), vers la fin du collège. Je me souviens avoir été instantanément fasciné par cet ovni horrifique, au concept à nul autre pareil et à l’ambiance paranoïaque, claustrophobique, minimaliste et nihiliste. Et après un nouveau visionnage presque vingt ans plus tard, l’effet est resté le même.
Avec son grand angle et des plans régulièrement débullés, la réalisation de Vincenzo Natali, sans être particulièrement inventive, appuie efficacement la désorientation des personnages —admirablement interprétés au passage—. Cette atmosphère nait bien sûr de ce décor cubique fabuleux, à la fois ésotérique et mécanique, répétitif mais avec des variations simples et immédiatement identifiables (les couleurs), où aucune dimension n'est privilégiée.
Cohérence géniale, tous ces adjectifs s’appliquent aussi aux mystérieux numéros de série qui identifient chaque pièce, et qui sont au coeur de l’intrigue. Bien sûr, cela ne résonnera pas de la même manière pour tout le monde, mais ça fait mouche chez mon âme de scientifique. Et qu’importe si les explications de Leaven sont parfois difficiles à comprendre, ou si on peut y trouver une incohérence assez importante
Les numéros de série sont, entre autres, des coordonnées à l’intérieur du cube à leur position initiale. Manifestement le cube n’est pas dans sa position initiale car ils traversent sans le savoir la salle « passerelle ». Donc les utiliser à ce moment précis n’a aucun sens et Leaven aurait du tout de suite s’apercevoir que son système de coordonnées ne marche pas.
Cela fait partie de l’ésotérisme, du mysticisme de ces chiffres, comme la capacité presque surnaturelle de Leaven à y trouver des patterns.
À noter une bande son minimaliste, angoissante et surréaliste, uniquement utilisée pour signifier des ellipses temporelles.
Quelques spoilers dans la suite.
Au niveau du fond, le film s’articule selon moi autour de deux axes :
- La recherche de sens. Holloway est une complotiste paranoïaque, à l’inverse Worth qui est un nihiliste estimant que le cube, et sa propre vie, n’ont aucun sens. Quentin, dans sa descente vers la folie, finira par invoquer un sens caché délirant pour justifier l’enlevement de Leaven et ses avances. Leaven, elle, est celle qui arrive à trouver un sens aux numéros de série. Pour Rennes, le cube n’est qu’une prison comme une autre, et se poser des questions est inutile —mais il rencontrera vite une fin tragique—. Finalement, dans toute cette recherche, c’est la thèse de Worth qui est retenue : le cube n’a aucun sens, ce qui est finalement l’explication la plus terrifiante.
- « L’enfer, c’est les autres ». Cette citation archi célèbre de Sartres s’applique parfaitement ici. D’ailleurs, l’idée originale de Natali était de situer son histoire entièrement en enfer. On notera d'ailleurs que seul Kazan, l'innocent absolu, en réchappe. Et si deux personnes meurent à cause du Cube, les quatre autres seront assassinées : le principal danger n’est pas le Cube, mais bien les membres du groupe. À tel point que Worth refusera de sortir, car la seule chose qui l’attend dehors, c’est « l’infinie bêtise humaine ». Cette même bêtise qui est à l’origine du Cube, leur enfer : l’enfer, c’est les autres, très littéralement.
Bref, Cube est un film de science fiction horrifique, psychologique et métaphysique d’exception. À ne pas manquer, surtout si comme moi, les nombres vous fascinent.