Trois ans séparent la sortie de Saw de celle de Dead Silence; trois années fastes pour le réalisateur/scénariste James Wan qui aura connu le succès immédiat d'un premier film culte, fait en collaboration avec son compère Leigh Whannell qu'on retrouve ici au scénario, et qui a défaut d'être devenu producteur de bons films (Saw 2 et 3 sortaient) aura au moins tenté de réinventer sa mise en scène avec ce deuxième essai cinématographique.
A le juger rétrospectivement, Dead Silence est un film phare : c'est là que Wan, passé du thriller glauque au film d'épouvante macabre, posera les bases de ce qui fera le succès de ses prochaines réalisations grand public et transformera le nom de l'artiste en référence moderne de son type de cinéma, figure imposante qui n'aura jamais flanché niveau talent, quitte à se réinventer souvent, à varier les genres, les plaisirs, les expériences.
On retrouve la figure figée des marionnettes chères à l'art de Wan : quoi de mieux, pour poser une ambiance, que de filmer admirablement cette crainte de l'humanoïde inanimé, de ces appréhensions universelles forcément efficaces en terme de tension? Il s'en sort très bien; ayant démontré avec Saw qu'il maîtrisait l'exercice, il se rate cependant quand il s'agit de ne plus se concentrer sur les poupées et de poser une véritable atmosphère.
Loin des couleurs chaudes du très joli Conjuring, il s'enferme ici dans une ambiance monochrome pour les scènes en extérieur, limitées à un filtre bleu profond gâchant le travail réussi de la photographie. C'est durant les scènes en intérieur (seulement celles de maison, avec un décors un minimum soigné) qu'il changera légèrement de ton, amenant quelques couleurs chaudes stéréotypées (le rouge pour la menace, l'orangé pour l'affrontement final), sans jamais atteindre les sommets qu'il nous présentera 3 ans plus tard (décidément) avec le très sympathique Insidious.
Genèse d'une carrière réputée, Dead Silence prend du sens quand on connaît ses autres films : c'est en jugeant la manière qu'il a de traiter ses thématiques horrifiques en les reliant à celles de ses films actuels qu'on saisit le bon travail déjà proposé ici, avec les prémices de sa célèbre caméra fantomatique, planante et légère, et son insertion originale, peu commune des screamers certes un poil grossière mais déjà témoin du potentiel d'invention de gimmicks de James Wan.
Rien de surprenant au fait que Dead Silence respecte les qualités de ses autres films tout en écopant des mêmes défauts, forcément moins compensés par le visuel moins expérimenté du réalisateur. C'est à Leigh Whannell qu'il s'est allié, comme pour Saw, afin d'écrire le scénario; de l'époque où Wan écrivait encore ses films, retenons la générosité constante de sa carrière, ici bien appuyée sur l'aspect sanglant de l'intrigue et de l'esthétique début années 2000.
Pas bien malin, Dead Silence pâtit d'être trop influencé par les grands films paranoïaques d'épouvante (on pensera au très bon Le Village Des Damnés) ou les figures horrifiques classiques de films de fantômes ou de littérature fantastique anglaise (en ce sens, il démontre déjà toute sa virtuosité à mettre en scène et designer des créatures cauchemardesques finalement peu communes) pour se faire une place parmi les oeuvres qui inventent, qui proposent autre chose qu'un divertissement certes bien enrobé mais des plus vides.
Sur son intrigue de malédiction/possession causée par l'histoire sombre du village d'enfance du personnage principal (interprété par un Ryan Kwanten monolithique), il enchaîne les poncifs et les codes obligatoires pour qui vise le grand public, en passant premièrement par l'intervention inutile autant que barbante du flic side-kick jamais drôle ou approfondi, vecteur d'une enquête secondaire ridicule et rallongeant douloureusement un temps qui peine à passionner.
Etrangement peu ambitieux dans l'écriture, Dead Silence souffre énormément de ce clivage curieux : où l'on sent qu'il sera un grand réalisateur, on se dit finalement qu'il n'est pas plus mal de l'avoir suivi s'arrêter de scénariser ses propres films, tant le résultat, décevant, se ressent comme une obligation des deux compères de choquer le spectateur en reproduisant la recette superbement réussie du premier Saw.
Pourtant louable, l'intention perd de son intérêt parce qu'elle est, paradoxalement, très mal exécutée par Wan. Gérant très mal le rythme de son montage, il impressionne par la symbolique des premières images montrées avant que le bordel de ce montage anarchique (typique des films de genre des années 2000) ne nous fasse réfléchir outre mesure, questionner le sens de la révélation, la probabilité d'une telle conclusion pourtant bien ficelée par quelques endroits : le premier twist arrivé cinq minutes plus tôt, qu'on pouvait penser horrible, sert principalement à amener cette fin coupée trop rapidement, en déficit de puissance émotionnelle.
L'acting joue pour beaucoup dans ce manque d'émotion où l'on aurait du atteindre le paroxysme du glauque : tous très mal dirigés, les acteurs, sans aucune exception faîte, interprètent leurs personnages sans conviction aucune, sans émotion particulière ni puissance dramatique. L'ennui guète dès la première partie, pourtant magnifiquement ouverte par ses dix premières minutes dignes des meilleurs passages des deux Conjuring.
Il fait penser, au sortir du visionnage, à un drôle de Mash-Up entre Frankenstein, Ringu et The Ring, le futur Conjuring, au Village de Shyamalan autant qu'à celui des Damnés.